Article

Donner forme au geste
une exposition-atelier de Claude Closky

Claude Closky a créé une installation pour la Galerie des enfants du Centre Pompidou, intitulée « Un enfant de cinq ans en ferait autant ». Au sein de cette réalisation, l’artiste propose au jeune public de jouer avec un ensemble de motifs récurrents dans son travail, tels que l’usage d’objets quotidiens, la dématérialisation de l’art, et la notion de geste créateur.

Les installations qu’accueille la Galerie des enfants sont des dispositifs particuliers à deux égards : ils sont créés à destination d’un public âgé de quatre à dix ans, et ils doivent être interactifs. Or, l’artiste français Claude Closky, né en 1963, invite régulièrement les autres à contribuer à son travail. Par exemple, sur www.sittes.net, il propose un espace d’exposition virtuel dans lequel chaque œuvre évolue en fonction des clics de l’internaute. Par ailleurs, Claude Closky a publié plusieurs albums à dessiner pour enfants, leur proposant de réinvestir l’espace urbain en complétant des paysages lacunaires (Colorie comme tu veux, dessine et écris ce que tu veux, Seuil Jeunesse, 2001), ou de poser leurs couleurs sur des formes a priori destinées à rester blanches (os, dés, et autres fantômes de Color Me, Sémiose, 2017). Il était donc tout désigné pour élaborer une proposition artistique dans la Galerie des enfants.

Claude Closky, JACKPOT, Esbama, Montpellier

L’univers de l’enfance

En collaboration avec Jean-Noël Lafargue, spécialiste en nouveaux médias, Claude Closky explore la dimension virtuelle de la création artistique. Dans l’espace de la Galerie se dresse un immense écran, au pied duquel sont déposés une centaine d’objets plats en mousse, représentant quelque dix formes différentes, immédiatement reconnaissables : virgule, dièse, dé… À chaque objet réel correspond, sur l’écran, un signe distinct ; à chaque geste effectué avec l’objet, un mouvement dans l’image. Une manière de parler aux enfants d’aujourd’hui, que la relation immédiate entre le réel et l’image ne saurait surprendre. Pour Claude Closky, en effet, entrer dans l’univers des enfants ne signifie pas imaginer un dispositif simpliste, mais plutôt s’immiscer dans leur quotidien et mettre en valeur la richesse des signes qui les entourent. C’est pour cela qu’il choisit, comme souvent dans son œuvre, de créer son installation avec des éléments familiers, qu’il déplace simplement hors de leur contexte pour leur donner une seconde vie entre les mains des enfants. L’artiste souhaite aussi donner aux enfants un sentiment de pouvoir sur l’œuvre, en nommant les objets connectés des « sceptres ». Une suite d’actions se transforme en jeu, quand il faut dresser l’inventaire des interactions possibles entre l’objet, le geste, et l’image.

Puissance du geste

Croquis préparatoire © Claude Closky

Classifier, quantifier, voilà une obsession de notre société que l’artiste aime convoquer. Chacun bouge et tente de comprendre ce que son geste provoque dans l’image : une duplication des signes, leur agrandissement, un tournoiement, un changement de couleur. Les enfants assimilent un répertoire de gestes. L’écran, jusqu’à saturation, recueille un inventaire éphémère de formes. Il devient une page blanche qui accueille les gestes créateurs proposés par les enfants. Aucune interface entre les corps et ce qu’ils provoquent : l’image est la projection directe d’un ensemble de gestes. C’est l’un des objectifs de Claude Closky : « redonner du sensible au virtuel ». D’un autre côté, l’aléatoire surgit parfois : un signe disparaît, un geste ne suscite aucune modification de l’image. Le spectacle imparfait de ces chorégraphies des corps et des signes invite à la contemplation. L’image gigantesque est visible depuis les bancs face à l’écran, ou depuis le forum du Centre. L’écran acquiert un statut d’œuvre picturale, inscrite dans un espace d’exposition.

De l’écran au tableau

De fait, Claude Closky a élaboré son installation en multipliant les clins d’œil à l’univers de la peinture, et plus particulièrement aux œuvres des collections permanentes du musée. La géométrie des mouvements dans l’image rappelle, par exemple, certains artistes modernes et contemporains : Delaunay, Brancusi, Mondrian, Klee, mais aussi Lissitzky, van Doesburg, Nemours, ou encore Molnar. Les formes elles-mêmes convoquent d’autres peintres, comme la virgule colorée, référence à Kandinsky. Les couleurs à l’écran, enfin, ont été travaillées dans leurs teintes et leur matière, afin que l’œuvre devienne « plus picturale que graphique ». Cette installation de la Galerie des enfants s’inscrit aussi dans l’histoire de l’art d’une façon plus malicieuse. En affirmant, à propos d’une œuvre affichée dans le plus grand musée d’Europe, qu’« Un enfant de cinq ans en ferait autant », Claude Closky interroge avec humour les représentations caricaturales de l’art moderne et contemporain. Derrière la simplicité des formes et des couleurs se trouve pourtant une réelle virtuosité technologique. Mais la technique est ici dissimulée pour laisser place à l’imagination débordante et l’énergie sans faille des enfants.

Marion Carrot

Article paru initialement dans le numéro 26 du magazine de ligne en ligne 

Publié le 06/04/2018 - CC BY-NC-SA 4.0

Sélection de références

Œuvre multimédia de Claude Closky

4 Corners, Claude Closky, 2016

Dans cette œuvre multimédia de Claude Closky, des formes noires et géométriques apparaissent, s’accumulent et se déplacent depuis les quatre coins de l’écran d’ordinateur.

Photos de l'album Color Me

Color Me, Claude Closky, 2017

En 2017, Claude Closky créé un album à colorier pour la série Color Me. À l’intérieur : uniquement des dessins censés restés blancs. Montagne enneigée, dé, riz… aux enfants d’imaginer quelles couleurs poser sur ces formes en faisant jouer son imagination.

Œuvre permettant de créer des cartes de visite

Rectangulaire, Claude Closky, 2015

Dans cette œuvre imaginée par Claude Closky et fabriquée par Jean-Noël Lafargue, chacun peut créer sa carte de visite personnalisée en remplissant un formulaire : chaque lettre tapée génère un nouvel ensemble de formes géométriques, en noir et blanc.
Commande de l’association PASTE, dans le cadre de l’action Nouveaux commanditaires initiée par la Fondation de France. Médiation/production : Jérôme Poggi (Societies / Objet de production).

Rédiger un commentaire

Les champs signalés avec une étoile (*) sont obligatoires

Réagissez sur le sujet