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Appartient au dossier : Le Congo, de Léopold II à Patrice Lumumba

De l’Etat indépendant au Congo belge
Histoire sociale d'une colonie

Pays mythique de l’Afrique centrale, le Congo, par sa géographie hors du commun et son histoire mouvementée, nourrit aujourd’hui encore les imaginaires. Traversé par un fleuve abyssal et puissant, il représente à lui seul plus d’un dixième de la superficie du continent africain.
Son histoire est riche en ruptures et soubresauts : si la période précoloniale est marquée par l’édification de chefferies et de royaumes, l’importance géostratégique et économique du pays, riche en matières premières exceptionnelles, suscite au XIXe siècle les convoitises européennes.  
En 1885, la Conférence de Berlin entend développer le libre échange en Afrique et y instaurer la civilisation occidentale. Les grandes puissances se partagent le continent noir.
Léopold II, roi de Belgique, s’octroie cette immense terre et lui donne le nom d’ »Etat indépendant du Congo ». Une colonisation particulièrement violente s’ensuit.

Histoire générale du Congo : de l’héritage ancien à la République démocratique.Isidore Ndaywel è Nziem. Préface de Théophile Obenga. Postface de Pierre Salmon.Duculot, Agence de la Francophonie, Paris, Bruxelles, 1998

Historien congolais, Isidore Ndaywel è Nziem retrace ici le cheminement de l’histoire de son pays à travers trois étapes successives: la précolonisation, la colonisation et la postcolonisation. De longues années, faites d’accélérations, de continuités, de ruptures, qui expliquent les convulsions contemporaines d’un Congo complexe. 

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Congo. Mythes et réalités. 
Jean Stengers. 
Editions Racine, Bruxelles, 2005

Jean Stengers propose un ensemble d’études sur un siècle d’histoire du Congo: elles vont du 17 février 1860 – date du premier discours colonial du futur Léopold II – jusqu’à l’indépendance, le 30 juin 1960. Il aborde la formation de la pensée coloniale de Léopold II, la création de l’État indépendant, l’administration belge et le processus de la décolonisation. 

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Lire le compte-rendu de cet ouvrage sur Persée. 

Congo, une histoire. 
David Van Reybrouck. 
Actes Sud, Arles, 2012

Pour comprendre le Congo, un écrivain voyageur, historien et journaliste part à la rencontre de son peuple. A travers de multiples séjours, son regard s’aiguise, son empathie s’affirme. Au rythme d’une enquête basée sur plus de cinq mille documents, David Van Reybrouck mêle la grande Histoire aux récits du quotidien. Un histoire totale, un livre événement traduit dans une demi-douzaine de langues. Prix Médicis essai 2012.

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Lire l’interview de l’auteur sur le site de rfi.


De l’Etat indépendant (1885 – 1908)…

Le Congo colonial fut d’abord le Congo de Léopold II.
Jusqu’en 1908, « son » Etat indépendant jouit d’un statut particulier : une propriété privée sous forme commerciale, gérée par le roi des belges en personne.

La colonie doit vite devenir rentable : ses richesses devront servir au développement économique et à la grandeur européenne de la Belgique. Mais les ambitions financières de Léopold sont rapidement déçues : pour développer les infrastructures et l’administration nécessaires à l’établissement d’une colonie viable, il investit à ses propres frais des millions de francs. Il est vite ruiné. Pour combler ces déficits, l’urgence est à la rentabilité immédiate.

Des concessions sont donc attribuées à des compagnies privées.  Elles doivent exploiter au mieux les richesses naturelles du pays, notamment l’ivoire, puis le caoutchouc, matière première stratégique de la fin du XIXe siècle, lorsque se développent en Occident les usines de bicyclettes et d’automobiles.

Les faibles densités du Congo posent très vite le problème du recrutement de la main d’œuvre. Le monarque résout la difficulté en ayant recours à l’enrôlement contraint des populations. Un nouveau système d’asservissement par le travail est mis en place. Les concessions engagent les congolais, dans les plantations, les mines ou à la construction du chemin de fer, et mettent en place un système de travail forcé et de violence de masse.

Fantomes du roi

Les fantômes du roi Léopold : un holocauste oublié.
Adam Hochschild.
Belfond, Paris, 1998

Un récit à charge sur la mainmise de Léopold II puis de la Belgique sur le Congo, de la fin du XIXe siècle jusqu’aux années 1920. Adam Hochschild analyse l’Etat indépendant dans ses aspects politiques, économiques et humains, puis évoque la naissance du premier mouvement international de défense des droits de l’homme.
A sa sortie en Europe, le livre fait scandale: l’utilisation du terme « holocauste » dans le sous-titre de l’édition française est un abus de langage (l’édition originale américaine titre en fait Une histoire de cupidité, d’horreur et d’héroïsme dans l’Afrique coloniale).Une autre polémique concerne le comptage des décès: selon Hochschild, la population congolaise serait passée de 20 à 10 millions d’habitants par la faute des abus du régime léopoldien. 
Malgré ces controverses, Les fantômes du roi Léopold reste une référence dans la dénonciation des excès de l’Etat indépendant. 

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Pour aborder les débats autour de l’ouvrage, lire le compte-rendu critique sur Persée et, en contrepoint, la note de lecture du « Monde diplomatique« .  
Lire aussi le chapitre « Critique du livre de Hochschild » dans l’ouvrage de Jean Stengers

Tous les congolais ne sont pas enrôlés dans les travaux agricoles ou industriels : de jeunes « boys » pénètrent dans les maisons des colons et en assurent l’entretien. Quant aux jeunes filles, les « ménagères », elles sont surtout engagées pour satisfaire les besoins sexuels des hommes blancs.

menagères

Coloniaux, ménagères et prostituées : au Congo belge (1885-1930).
Amandine Lauro.
Labor, Loverval (Belgique), 2005

Dès les débuts de l’expansion belge, les coloniaux nouent des liens intimes avec les femmes africaines, parfois pour des périodes prolongées. Ces liaisons avec celles qui sont rapidement désignées «ménagères» sont un sujet de préoccupation pour les autorités. Une étude des politiques de morale sexuelle, qui aborde aussi la prostitution autochtone et ses anxiétés, et le caractère stratégique de la sexualité en situation coloniale.

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Une armée coloniale, dénommée « force publique« , voit également le jour en 1885. Elle est exclusivement commandée par des officiers blancs. Dès 1891, l’Etat indépendant instaure un système de recrutement forcé des soldats. Les chefs de village doivent céder quelques jeunes hommes à l’armée, et y voient souvent l’occasion de se débarrasser des agitateurs. Le service dure 7 ans : la sévérité excessive des officiers et la sous-alimentation provoquent une haine profonde des soldats envers les belges. L’armée devient d’ailleurs le lieu des premières mutineries contre le pouvoir blanc.

Force publique du Congo belge, province du Katanga, 1928 – Société de Géographie / Gallica

Mais c’est l’exploitation des arbres à caoutchouc qui voit l’apogée de la mainmise économique de Léopold II sur le Congo.
En Europe et aux États-Unis, le caoutchouc gonflable remplace avantageusement les roues en bois cerclées de métal. La demande explose: le miracle économique s’annonce. Les millions s’amoncellent enfin dans les caisses du roi belge. 
Pour satisfaire les nombreuses commandes occidentales, la main d’œuvre congolaise est soumise à rude épreuve. La récolte est un travail long et pénible : les lianes à caoutchouc doivent être entaillées, la sève récupérée et transformée en gros blocs, transportés dans des paniers en osier à travers des régions marécageuses où sévit la mouche tsé-tsé. Pour maximiser la production et obliger les hommes à récolter toujours plus de caoutchouc, l’Etat indépendant et les compagnies concessionnaires organisent un régime de terreur généralisée: mauvais traitements, enlèvements et viols des femmes des employés les plus lents, meurtres gratuits…
Dans certains villages réfractaires, des soldats organisent des expéditions punitives et rapportent à leurs officiers des mains coupées aux morts ou aux vivants: barbarie qui, aujourd’hui encore, symbolise les débordements de l’Etat indépendant de Léopold II.  

sang sur les lianes

Du sang sur les lianes. Léopold II et son Congo. 
Daniel Vangroenweghe.
Aden éditions, Bruxelles, 2010

Léopold II écrit en avril 1892 au gouverneur général du Congo : «Il importe d’achever le développement bien nécessaire de nos récoltes d’ivoire et de caoutchouc. L’État ne peut maintenir son existence qu’au moyen de très larges et très fructueuses récoltes.» Les ordres royaux sont exécutés à la lettre. De 1900 à 1908, l’État indépendant du Congo exporte en moyenne 5 000 tonnes de caoutchouc par an… Ce livre détaille à quel prix pour les populations locales.

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Une main coupée, 1904: « Nsala of Wala avec le pied et la main de sa fille » by Alice Harris – [CC-PD-Mark] via Wikimedia Commons

Dans les premières années de l’Etat indépendant, les opinions publiques occidentales ne s’émeuvent guère de la situation des congolais. La colonisation passe même pour libératrice des peuples africains, puisque Léopold, en s’appropriant cet énorme territoire, a mis à mal la traite négrière mise en place par des marchands d’esclaves arabisés ou islamisés. 
Tant du point de vue des manœuvres diplomatiques que des tentatives de légitimation intellectuelle, elle jouit d’arguments humanitaires et philanthropiques. Le roi se dit soucieux d’apaiser et de civiliser cette partie du continent noir encore “au cœur des ténèbres”. Son discours évacue toute visée impérialiste et nie toute volonté d’asseoir une domination économique et politique: seul compte le devoir moral de la colonisation, héroïquement assumé par les Belges

Tout change dans les premières années du XXe siècle. La dénonciation des abus et du travail forcé par le consul britannique Roger Casement dès 1903 puis par le journaliste anglais Edmund Morel, suivis par des auteurs de renommée mondiale comme Mark Twain ou Arthur Conan Doyle, a un retentissement international.
Sous la pression, Léopold II doit céder le Congo à la Belgique. Elle restera maître du pays jusqu’en 1960. 

 

conan doyle

Le crime du Congo belge. 
Arthur Conan Doyle.
Les nuits rouges, Paris, 2005 

Arthur Conan Doyle voulut enquêter lui-même sur les massacres et les atrocités perpétrés entre 1885 et 1908 dans «l’Etat indépendant du Congo». Indigné par la rapacité du roi et des compagnies concessionnaires, l’auteur de Sherlock Holmes signa un pamphlet retentissant. 

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… Au Congo belge (1908 – 1960):

La reprise en main du Congo par la Belgique change le visage de la colonie, qui s’humanise pour faire face aux pressions de l’opinion publique occidentale et s’engage plutôt dans une politique paternaliste à l’égard des populations locales. 

Le Congo n’est plus la colonie de Léopold, mais celle des gouvernements de Bruxelles et de Léopoldville, celle des missions catholiques ou protestantes et celle des grandes compagnies concessionnaires; l’un des principaux héritages structurels de l’Etat indépendant.

Le sol du Congo dévoile alors de nouvelles richesses: après l’ivoire et le caoutchouc, on découvre dans la région du Katanga des ressources minières prometteuses comme le cuivre, le cobalt, l’uranium et l’or.
Inévitablement, l’Histoire se répète: de puissantes concessions privées s’y installent. Elles engagent des milliers de travailleurs, dont beaucoup viennent des pays frontaliers. Au cours des premières années d’exploitation, les conditions de vie des mineurs sont déplorables: travail forcé, habitat insalubre, maladies liées à la pénibilité du travail comme la pneumonie et la tuberculose.

mineurs rwandais au Katanga
Années 20: mineurs rwandais, Katanga, Congo belge – [CC-PD-Mark] via Wikimedia Commons

L’agriculture se développe également: des travailleurs manuels sont engagés ou enrôlés de force dans les plantations de café, de cacao, de tabac et d’huile de palme.

La production de la colonie s’accroît de manière intensive.

Dans l’entre deux-guerres, les villes croissent: la population de Léopoldville (aujourd’hui Kinshasa) double entre 1920 et 1940 et atteint 50 000 habitants.  En quittant massivement les campagnes, les congolais voient leur qualité de la vie s’améliorer: ils vivent dans des maisons en brique, les médicaments sont plus accessibles, la rumba se danse le dimanche dans les bars.

Dans les mines du Katanga, tout comme dans les grandes entreprises du pays, les salaires augmentent. L’Union minière cultive la docilité de ses employés en adoptant une politique du personnel paternaliste. Elle prend en charge tous les aspects de la vie de ses mineurs: logement, santé, école des enfants. Les travailleurs les plus dévoués peuvent même grimper jusqu’à un certain niveau dans l’entreprise. Toutefois, le sommet de la hiérarchie reste inatteignable pour un africain.

gécamines

Le paternalisme en question: les anciens ouvriers de la Gécamines face à la libéralisation du secteur minier katangais (RD Congo).
Benjamin Rubbers. 
L’Harmattan, Paris, Musée royal de l’Afrique centrale, Tervuren, 2013

L’ouvrage analyse les conditions de vie des mineurs du Katanga d’aujourd’hui, mais étudie aussi la politique paternaliste mise en place par l’Union minière dans les années 1920, qui gérait tous les aspects de la vie de ses employés. Un ordre matériel et social entièrement contrôlé par l’entreprise, qui faisait surveiller les visites familiales ou la bonne tenue de la maison. 

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Union minière
Infirmières belges et congolaises de l’Union minière du Haut-Katanga, 1918 – [CC-PD-Mark] via Wikimedia Commons

Malgré ces améliorations, la colère et la révolte des congolais contre le pouvoir colonial grondent. Elles se cristallisent, dès les années 1920 et 1930, sous différentes formes.
La religion en est peut-être la première: dans le sillage de Simon Kimbangu, prophète et prédicateur non-violent à la tête de milliers de fidèles, des dizaines de mouvements religieux ou mystiques,  qui mélangent cultures chrétienne et africaine, se développent, en contradiction avec les politiques coloniales missionnaires.

Des organisations à caractère ethnique voient le jour: elles permettent également d’affirmer son identité, congolaise et tribale, en dehors des cadres coloniaux.

Les structures associatives militantes se développent, d’abord en Europe – le syndicalisme sera interdit aux « indigènes » jusqu’en 1946. 
Dès 1919, des congolais installés en Belgique, menés par Paul Panda Farnana, créent “L’Union congolaise”. Ils exigent du gouvernement bruxellois la réduction du travail forcé, des salaires plus importants et le développement de l’enseignement. 
Des grèves sont même initiées par des matelots africains engagés sur les navires européens, pour exiger l’égalité des droits avec leurs homologues blancs. 

 

paul panda

Visages de Paul Panda Farnana : nationaliste, panafricaniste, intellectuel engagé.
Antoine Tshitungu Kongolo.
L’Harmattan RDC, Kinshasa, 2011

Biographie de Paul Panda Farnana (1888-1930), intellectuel congolais qui fut de tous les combats de son époque : amélioration des conditions de vie de ses concitoyens alors sous le joug colonial, défense de la cause des noirs dans le monde, etc.

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La conscience politique se développe: les intellectuels venus d’Afrique et des Etats-Unis se rencontrent lors des congrès panafricains. Les congolais voient leurs homologues issus des colonies françaises siéger à l’Assemblée nationale parisienne et y défendre leur peuple. La révolte contre Bruxelles émerge.

De grandes grèves construisent l’histoire sociale du pays et contribuent peu à peu à la chute de l’emprise belge sur le Congo. En 1941, les travailleurs blancs et noirs des mines katangaises s’unissent contre la faiblesse des salaires. La répression de la grève est sanglante (au moins 60 morts et cent blessés au stade d’Elisabethville), mais marque les esprits: la révolte est désormais possible. Des troubles sociaux suivent l’après-guerre: au Kivu, en 1944, à Léopoldville et à Matadi en 1945. Mineurs d’or, ouvriers, boys, dockers font grève et prennent la rue, malgré la répression.  

Jusque-là, en Belgique, rien ne semble ébranler le bien-fondé de cette lointaine et exotique colonisation: la propagande fait son oeuvre
La bande dessinée belge de cette époque, en plein essor, est par exemple nourrie des stéréotypes véhiculés par la propagande coloniale. Parangon de cette idéologie, Tintin au Congo sort en 1931. 
Les consciences finissent cependant par s’éveiller à la réalité congolaise, notamment grâce à Jef Van Bilsen, qui publie en 1955 “Un plan de trente ans vers l’indépendance du Congo”.

Au Congo également, les penseurs politiques et les intellectuels rayonnent: en 1956 paraît le fameux Manifeste Conscience africaine: premier manifeste indépendantiste africain qui ne cesse, jusqu’à présent, d’inspirer les politiques de la postcolonie du continent noir. 

manifeste

Le manifeste Conscience africaine (1956) : élites congolaises et société coloniale :
regards croisés. 

Etudes réunies par Nathalie Tousignant.
Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, Bruxelles, 2009

Des chercheurs belges et congolais de différentes disciplines analysent la genèse, les influences et les réactions au célèbre manifeste Conscience africaine publié le 30 juin 1956. L’ouvrage analyse des différentes formes de conscience et de pensée politiques dans le Congo de la décolonisation.

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Les jeux sont faits. 
Les voix dissidentes se font désormais entendre. 
Dans un contexte explosif de discriminations raciale, économique et politique, des émeutes éclatent, comme à Léopoldville en 1959: devant la mort de quelques deux à trois cents manifestants et face à la violence des pillages, le pouvoir belge vacille. Les slogans de liberté sont désormais scandés par la rue, et non plus seulement pas les élites noires. 
Le contexte international, qui voit s’instaurer un nouveau rapport de force entre grandes puissances, encourage les décolonisations. 
Pour porter l’idée de l’indépendance, des partis se développent à travers tout le Congo et de grandes personnalités politiques émergent. Patrice Lumumba est l’une d’elles.

Publié le 20/07/2015