Chronique

En voie de disparition, d’Eric Pessan

D’après Eric Pessan, le livre et les écrivains sont menacés, et possiblement voués à une extinction prochaine. Un constat désabusé qu’il faudrait largement nuancer, mais qui donne l’occasion au romancier de briller dans un texte à l’humour aigre-doux, tout entier destiné à proclamer son amour de l’écriture.

En voie de disparition _ couverture
A la Bpi, 840″20″ PESS 4 EN

Eric Pessan est un écrivain qui doute. Il suffit de visiter de temps en temps son Tumblr, sur lequel il poste des pages du carnet dans lequel il note de brèves réflexions et griffonne de petits dessins, pour s’en rendre compte. On y entrevoit la banale mais redoutable angoisse de la page blanche, l’incompréhension des proches et moins proches face à ce métier si particulier, la lassitude de devoir aller vendre son dernier bouquin comme du poisson frais dans toutes les librairies de France et de Navarre, et la difficulté à vivre d’un travail pourtant pratiqué depuis plus de quinze ans.

Rien d’étonnant alors à le voir publier En voie de disparition, petit volume consacré à la dure condition d’écrivain. En une centaine de pages, Pessan rassemble des textes déjà publiés et d’autres inédits, réaffirmant dans certains son amour du livre, fustigeant dans d’autres les exigences de l’économie, pointant ailleurs des idées reçues que nous partageons presque tous sur les écrivains.

Le ton est le plus souvent gentiment moqueur, avec une pointe d’amertume. Parfois, celle-ci déborde et amène Pessan à entamer des développements à la rhétorique décliniste qui pourront – cela mériterait un débat – paraître quelque peu exagérés, prévoyant un avenir des plus noirs pour les livres et tous ceux qui en écrivent, en éditent ou en lisent :

Je sais bien que lorsque le dernier livre disparaîtra, il n’y aura personne dans la rue pour brandir son poing ou clamer un slogan.

Pas de fanatiques barbus la hache ou la torche à la main pour menacer le livre, juste la pente de l’époque, l’indifférence, et le verdict implacable des comptes de résultats déficitaires. Le dernier livre sera détruit d’un coup de crayon rouge par un contrôleur de gestion accoudé à son bureau de merisier.

Mais il faut faire abstraction de ces quelques égarements par trop alarmistes : le reste d’En voie de disparition est un charmant chant d’amour un brin désabusé, généralement d’une grande drôlerie, notamment lorsque Pessan recueille les avis de lecteurs lambda sur ce que c’est que « faire un livre » et que l’un d’eux répond que c’est « une question de méthode », qu’on peut « faire une étude de marché » mais qu’in fine il faut « qu’il soit vraiment proche de ce que les gens veulent lire, il faut faire très attention à ne pas décevoir les attentes des lecteurs ». Pessan livre ces entretiens sans commentaire, mais on croirait l’entendre hurler dans le fond – comme on aurait envie de hurler aussi face à cette vision mercantile et utilitariste de la littérature. Mais rien à faire, pour lui il faut continuer de sourire :

Tu souris au journaliste qui n’a pas trouvé quelques minutes pour feuilleter ton livre, submergé qu’il est par le flot des parutions. (…)

Tu souris à la lectrice qui t’explique qu’elle ne te lira pas parce que – le soir – elle veut des trucs qui la détendent et lui fassent oublier son quotidien. (…)

Tu souris à ce lecteur qui – pour ton bien – te raconte quel livre tu devrais écrire. (…)

Tu souris en dînant chez des amis aux personnes qui s’extasient de rencontrer un véritable écrivain et qui oublient de te demander ton nom ou font semblant d’avoir lu un article sur l’un de tes livres. (…)

Tu souris à qui crache un glaviot glaireux sur ton visage.

Au fil de cette centaine de pages, c’est toute une vision de la littérature qui se dessine (même si la difficulté à définir ce qu’est la littérature reste entière : « A quel moment des mots sur une feuille deviennent-ils littérature ? »). Une vision de la littérature généreuse, fondée sur la découverte et le partage, qu’on a bien envie de défendre avec Eric Pessan. Puisque, comme il l’écrit dans la dernière page d’En voie de disparition, qui parvient à renverser en quelques phrases tous les constats négatifs fait au préalable, « parfois, au moment le plus inattendu, un lecteur ouvre un livre et bascule tout entier hors de lui pour recevoir une chose dont – une minute auparavant – il ignorait qu’elle lui serait essentielle ».

Publié le 16/03/2016 - CC BY-SA 3.0 FR

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