Sélection

Appartient au dossier : Panorama de la littérature germanique contemporaine

Femmes singulières de la littérature germanique

Quels points communs y a-t-il entre Elfriede Jelinek, Juli Zeh et Judith Hermann ? Existe-t-il une voix spécifique de ces auteures femmes au sein de la littérature germanique ? Rien n’est moins évident.

C’est d’abord leur apparente hétérogénéité qui frappe. Ce sont des femmes de générations différentes : Elfriede Jelinek est née dans l’immédiat après-guerre, tandis que Juli Zeh et Judith Hermann ont été nourries au punk dans les années 1970. Elles appartiennent également à une géographie linguistique éclatée : Elfriede Jelinek est autrichienne, Juli Zeh et Judith Hermann sont typiquement berlinoises. Pourtant, ces différences semblent dessiner de nombreux points communs : l’engagement de l’écriture, la précision de la langue et la mise à l’épreuve d’un réel désenchanté. C’est notamment ce réalisme cru qui fait la singularité de leur écriture, sans fioriture, jamais psychologisante. Qu’il s’agisse de « dénazifier la langue » (Elfriede Jelinek), de décrire le huis-clos oppressant d’un village de campagne (Juli Zeh, Brandebourg) ou de passer à l’eau glacée les relations amoureuses (Judith Hermann, Rien que des fantômes), ces auteures osent mettre en scène des femmes qui haïssent, jouissent ou tuent. Leurs textes nous rappellent que l’identité féminine est mouvante, complexe et inattendue.

Publié le 15/10/2017 - CC BY-SA 3.0 FR

Sélection de références

Brandebourg

Juli Zeh
Actes Sud, 2017

BrandebourgUnterleuten de son nom allemand – a tout d’un vrai village. Sa carte, en début d’ouvrage, avec les parcelles et noms de chacun des propriétaires. Sa position géographique, à cent kilomètres de Berlin. Son histoire, soit l’arrivée d’un projet d’éoliennes. Ses personnages, peints avec un grand souci de coller au réel: les gars du coin, les jeunes bobos, les ambitieux, les paranoïaques. Tout ce petit monde s’agite autour du nouveau projet imposé par les instances nationales : Unterleuten résistera-t-il à l’inexorable modernité ?

Au gré des chapitres portés par la voix des différents protagonistes, Juli Zeh donne à voir les haines ancestrales, les passions enfouies, les alliances secrètes ou encore les fantômes d’un « village-monde ». Brandebourg est un grand roman de moeurs, un livre important et juste.

À la Bpi, niveau 3, 830″20″ ZEH. 4 UN

Lust

Lust

Elfriede Jelinek
J. Chambon, 1991

Autriche, fin des années 1980. Gerti, femme au foyer et mère d’un petit garçon, attend le retour de son mari Hermann, directeur d’une usine de papier. Pour combler son ennui, elle prend un jeune amant étudiant. Le titre (en allemand, Lust signifie la jouissance, la luxure) donne tout son sens au roman. Multipliant les scènes pornographiques, l’auteur montre une femme réduite au statut d’objet sexuel entièrement soumise aux hommes. Elle décrit l’enfermement psychologique d’une femme coupable de son propre asservissement par son mutisme et son inaction. Chez Jelinek, les relations humaines sont froides et cyniques, loin de toute empathie. Cette distance et cette cruauté sont au cœur de son œuvre.

Née en 1946, Elfriede Jelinek fait scandale dès les années 1960 avec ses écrits féministes teintés de pornographie. Depuis les années 2000, elle connaît la consécration avec l’adaptation de son roman La pianiste par le réalisateur autrichien Michael Haneke en 2001 et avec l’obtention du prix Nobel de littérature en 2004.

(Chronique réalisée par Véronique Monchois, dans le cadre des travaux d’étudiants de l’IUT Métiers du Livre/Paris Descartes)

À la Bpi, niveau 3, 831 JELI 4 LU

Rien que des fantômes : nouvelles

Judith Hermann
A. Michel, 2004

Judith Hermann s’est imposée depuis quelques années comme une auteure phare de la nouvelle génération d’écrivains allemands. Rien que des fantômes est l’un de ses premiers ouvrages traduits en français. Ce recueil de sept nouvelles dépeint des moments de la vie de personnages féminins lors de voyages en Islande, à Venise ou encore à Prague. Ces femmes décrivent avec nostalgie des instants et des rencontres aussi fortes qu’éphémères, témoignant d’une difficulté universelle à s’ancrer dans le monde et à s’y faire une place.

À travers ces courts récits de vies, Judith Hermann nous parle d’une génération qui flotte au-dessus du monde et de sa propre existence. Son écriture plonge le lecteur dans un état contemplatif de douce mélancolie. Fine observatrice de l’évolution d’une génération en mal de repères, Judith Hermann est de ces auteures dont on guette ardemment le prochain livre.

(Chronique réalisée par Marina Graesel, dans le cadre des travaux d’étudiants de l’IUT Métiers du Livre/Paris Descartes)

À la Bpi, niveau 3, 830″20″ HERM 2

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