Interview

Appartient au dossier : ​Écritures de l’exil : l’Afrique

L’exil est un pays poème
Entretien avec Marc Alexandre Oho Bambe

Littérature et BD

Son enfance au Cameroun, Marc Alexandre Oho Bambe l’a passée au milieu des livres, avec pour maîtres Aimé Césaire, Édouard Glissant ou René Char. Slameur, poète et romancier, il souhaite transmettre la parole poétique au plus grand nombre, comme gage de fraternité. Pour Balises, il revient sur son rapport à l’exil et à la littérature.

Comment vous situez-vous parmi les auteurs originaires d’Afrique francophone qui ont émergé en France ces dernières années ?

J’ai le sentiment de faire partie d’une génération affranchie de tous les cadres, bénéficiant sans doute aussi du travail de la génération précédente qui a sorti les littératures francophones des Caraïbes du ghetto dans lequel un certain milieu littéraire et un certain public les enfermaient. Notre génération s’affirme, elle prend sa place.

Je viens du spectacle vivant – comme mes amis Gaël Faye et Edgar Sekloka – et nous avons d’abord fait vivre nos mots sur scène, avant de tenter des aventures éditoriales, plutôt heureuses. Nous sommes une génération qui prône le do it yourself, et le « faire ensemble ». Nous avons en commun cette émulation collective, cette fraternité rieuse tisseuse de liens qui vont au-delà de l’art.

Quelle place tient l’exil dans votre vie ?

Il y a eu plusieurs exils dans ma vie. Le premier, l’arrachement – physique – à ma ville natale, Douala, a été un trou fondateur. Un trou que je pensais ne jamais pouvoir combler.

Et puis, un jour, j’ai eu un merveilleux échange avec l’écrivaine Maryse Condé, qui m’a offert ces mots : « Tu sais, tu ne seras jamais en exil, tu portes ton pays en toi, il est dans ton regard, dans tes mots, dans ton souffle, alors tu ne seras jamais en exil. » Cette conversation m’a bouleversé et amené à reconsidérer la notion d’exil. Douala est toujours là. En moi. Je l’emmène partout où je vais, partout où je vis, où je vibre. 

Mon premier exil, finalement, c’est mon rêve originel, le pays poème dans lequel j’aime me réfugier, me retirer pour mieux regarder le monde et écrire.

Une phrase de lumière du poète Mahmoud Darwich depuis longtemps m’accompagne, sur le chemin que je trace : « L’homme libre est celui qui choisit son exil. » J’ai choisi. La poésie.

Quels auteurs vous ont fait entrer en poésie ? 

À seize ans, alors que je rêvais déjà de devenir écrivain et que je n’avais pas de plan B dans la vie – je n’en ai toujours pas -, par un après-midi d’ennui absolu, j’ai pris un livre au hasard dans la bibliothèque familiale et je suis tombé sur ces lignes étincelles : « Tu es pressé d’écrire, comme si tu étais en retard sur la vie. S’il en est ainsi, fais cortège à tes sources. Hâte-toi. Hâte-toi de transmettre ta part de merveilleux de rébellion de bienfaisance. » René Char.

Je ne savais pas qui était Char mais j’ai eu l’impression, tout de suite j’ai su que ce livre m’avait choisi pour me dire quelque chose de moi. Et je ne m’étais pas trompé.

Mon autre grande claque poétique, la plus grande même, c’est Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire. Césaire m’a enseigné que la poésie n’est pas seulement une manière d’utiliser les mots, la poésie est tellement plus qu’une simple esthétique, elle est respiration de la femme et de l’homme debout. Souffle de vie.
J’ai une grande admiration pour Mongo Beti, Francis Bebey et d’autres auteurs camerounais, dont les livres ou les textes étaient au programme scolaire, mais j’ai trouvé mes influences ailleurs.

La poésie est une évidence amoureuse ; d’ailleurs je dis souvent que je suis poète par amour. J’ai aussi grandi en écoutant du rap français : MC Solaar, IAM… Ils avaient un autre rapport à la langue, une façon de la faire groover, de lui donner du rythme, un tempo singulier. J’y voyais une continuité stimulante avec ce que faisaient mes professeurs d’espérance, Césaire, Frankétienne, Damas, Char, Éluard, etc…

Marc Alexandre Oho Bambe sur scène

Votre premier roman, Diên Biên Phù, questionne l’histoire de la colonisation à travers la guerre d’Indochine. Pourquoi avoir choisi cet ailleurs ? 

Cette guerre marque le début du déclin de l’empire colonial français, avant l’Algérie et les indépendances africaines des années 1960. D’une certaine manière, c’est une guerre-symbole qui dit aux colonisés : vous pouvez gagner votre liberté, battre le colon, vaincre l’oppression.

Ce décentrement est devenu une évidence lorsque j’ai entendu des témoignages de Bodoi, ces soldats-paysans qui se sont engagés contre le colonialisme derrière Hô Chi Minh. Ce qui m’a frappé, ému, c’est qu’ils ne parlaient pas de leur victoire sur la France mais de ce que la guerre leur avait volé. J’avais l’impression d’entendre mon grand-père parler de la guerre de décolonisation du Cameroun, qui a été d’une violence inouïe.

Par ailleurs, j’avais aussi besoin d’interroger la figure du colonisé qui doit aller combattre d’autres colonisés – la schizophrénie que cela pouvait, devait être, pour certains. Ce questionnement est incarné dans mon roman par le personnage d’Alassane Diop, tirailleur sénégalais. Par honneur, il reste fidèle à la France, jusqu’à la fin de la guerre d’Indochine, mais dès qu’il rentre au Sénégal, il se bat pour libérer son pays. Aborder cette guerre-là, c’était finalement parler de toutes les autres guerres, car toutes ces luttes se tiennent par la main. C’était écrire une histoire-monde, être dans un ailleurs géographique qui me permettait de ne pas écrire le nez collé à la vitre de la réalité, et de rester près du rêve d’écriture, de l’invention, la fiction.

Pourquoi est-ce si important d’engager physiquement la littérature ?

Ma pratique artistique est indissociable d’une forme de militantisme : ne laisser personne à côté de la littérature. 
Donner la possibilité d’entendre et ressentir un texte, c’est offrir la littérature, en premier lieu à ceux qui ne savent pas lire, à ceux qui sont éloignés du livre.

Je me considère comme un passeur de poésie, je transmets, je partage les auteurs qui m’accompagnent partout où l’on m’offre tribune. Et quand je suis à Haïti ou au Cameroun, dans des lieux moins privilégiés que les nôtres, je pense toujours à ces mots de Frankétienne : « Que peut la littérature face à un innocent qu’on assassine ? Que peuvent toutes les bibliothèques du monde face à un enfant qui a faim ? Rien, et pourtant une seule phrase dans un seul livre peut bien sauver toute l’humanité. »

Être debout avec sa parole, dans une forme orale et vibrante, c’est peut-être donner envie à d’autres de se lever aussi, ou de se relever.

Publié le 14/08/2018 - CC BY-NC-SA 4.0

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À la Bpi, niveau 3, 846.3 OHOB 4 DI

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