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Appartient au dossier : Comment traduire une œuvre ?

Traduire Georges Perec

Truffés de contraintes formelles, de citations, de jeux de mots et de clins d’oeil, les textes de Georges Perec donnent bien du fil à retordre aux traducteurs. Entre adaptation et appropriation, entre transposition et nécessaire trahison, la traduction de ses plus célèbres romans exacerbe les questionnements qui font débat dans la profession.
 

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Si la Disparition compte aujourd’hui une dizaine de traductions, ce célèbre roman entièrement écrit sans utiliser la lettre e (une contrainte appelée “lipogramme”) a longtemps semblé impossible à transposer dans une autre langue. Ses différents traducteurs ont souvent débattu des difficultés posées par cette contrainte, et des choix parfois draconiens qu’ils ont eu à effectuer. Ainsi, puisque Perec a choisi le e car il s’agit de la lettre la plus courante en français, il était logique que les versions espagnoles et catalanes de l’œuvre escamotent le a, plus courant dans ces deux langues. Mais quid du japonais, par exemple, dont l’écriture ne ressemble en rien à l’alphabet latin ?

S’il est le cas le plus emblématique, la Disparition n’est pas le seul texte de Perec à soulever d’importants problèmes de traduction. La Vie mode d’emploi, avec ses innombrables contraintes dissimulées, ses jeux d’échos et ses trouvailles formelles, est lui aussi souvent évoqué. On pourra aussi parler des Revenentes, dans lequel seule la voyelle e est utilisée, ou encore des Alphabets, ces poèmes construits autour des onze lettres les plus utilisées de l’alphabet, et qui attendent encore d’être traduits…

Cette sélection de références permettra de mesurer à quel point les traducteurs peuvent déployer des trésors d’inventivité et d’astuce, au point d’égaler Perec lui-même. Car la traduction n’est-elle pas déjà une forme d’écriture à contrainte, celle du texte original dont on ne peut s’éloigner ?  

couvertures de titres de Perec à l'étranger (1)

Publié le 05/05/2017 - CC BY-SA 3.0 FR

Sélection de références

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Traduire la Disparition de Georges Perec

Cette table ronde animée en 2011 aux Assises de la Traduction Littéraire par Camille Bloomfield, spécialiste de l’OuLiPo, réunit cinq traducteurs de la Disparition : Valeri Kislov, John Lee, Vanda Miksic, Marc Parayre, et Shuichiro Shiotsuka, respectivement traducteurs vers le russe, l’anglais, le croate, l’espagnol et le japonais.

Leur conversation permet de faire émerger les difficultés propres à la traduction dans chaque langue, en même temps que les grands traits structurants du roman. On y apprend par exemple que la version russe fait l’impasse sur le o, et que l’alphabet cyrillique, l’alphabet russe et même l’alphabet croate ont une incidence forte sur le découpage des chapitres du roman, qui sont au nombre de 26 – le cinquième étant manquant – dans la version originale. Tous expliquent pour finir à quel point ce travail a pu changer leur façon de lire, d’écrire et de traduire.

David bellos - portrait

David Bellos, Appropriation, imitation, traduction

David Bellos a régulièrement travaillé sur l’œuvre de Georges Perec, dont il a traduit huit livres parmi lesquels W ou le souvenir d’enfance, Penser/Classer, Espèces d’espaces ou encore Je me souviens.

Ce sont cependant ses traductions de La Vie mode d’emploi et de 53 jours, roman inachevé, qui furent les plus marquants dans son rapport avec Perec. Régulièrement évoquées, notamment dans son essai sur la traduction Le Poisson et le Bananier, ces traductions l’ont parfois poussé à réexaminer ce qui est habituellement considéré comme la “bonne” façon de traduire. Face aux contraintes propres aux œuvres de Perec se pose notamment la question de l’appropriation du texte par le traducteur. Dans cet article, Bellos revient sur quelques micro-trahisons qui lui ont permis de laisser sa marque dans ces deux romans (notamment en signant de son nom un message crypté) tout en conservant l’esprit volontiers malicieux de Perec.

jaquette - lire et traduire Georges Perec

Lire et traduire Georges Perec

Dans ce documentaire de Bernard Queysanne, deux traducteurs de Georges Perec expliquent le plaisir et les difficultés qu’ils ont eus à le traduire l’un, David Bellos, vers l’anglais, et l’autre, Eugen Helmlé, vers l’allemand. La construction de La Vie Mode d’Emploi est le seul élément solide sur lequel ils pouvaient s’appuyer, mais les solutions trouvées pour rendre compte des jeux de mots, des palindromes, des citations dont les romans de Perec sont truffés sont dans chaque langue différentes. Georges Perec est présent à travers des extraits d’Apostrophes (1978) , d’Aujourd’hui Madame (1978) où il s’entretient avec des lectrices de La Vie Mode d’Emploi. Le commentaire est dit par Agnès Varda. A la fin du film, on s’aperçoit que celui-ci obéit à une contrainte « perecquienne » : les deux traducteurs qui semblent dialoguer sur le même plateau n’ont pas été filmés ensemble. Tout le film est construit sur des jeux de regard.

A visionner sur les postes multimédias de la Bpi.

couverture formules n°2

Traduire la Disparition en espagnol

Dans Formules, la revue des littératures à contraintes, Marc Parayre, co-traducteur de la Disparition en espagnol et auteur d’une thèse sur le roman, revient sous la forme d’un bref compte-rendu sur certaines contraintes qu’il a été nécessaire de conserver dans la traduction. Au programme : quelques trouvailles brillantes, et un ou deux coups tordus…

Stephen Frug portrait

Attempts : On the Vanished Translations of Georges Perec's La disparition (en anglais)

Sur son blog, le professeur d’université Stephen Frug revient sur les différentes traductions de la Disparition en anglais. Si deux d’entre elles – Vanish’d, par John Lee, et A Vanishing, par Ian Monk – n’ont jamais été publiées, leurs auteurs n’ont pas manqué d’émettre leur avis sur A Void, la traduction de George Adair publiée en 1995. On y voit que les subtilités de l’écriture de Perec sont telles qu’un seul traducteur ne saurait suffire à toutes les repérer…
Ajoutons qu’une dernière traduction en anglais serait à mentionner : il s’agit d’Omissions par Julian West, elle aussi inédite.

Ian Monk portrait

Between us : Chris Clarke & Ian Monk

Membre britannique de l’OuLiPo et expert de l’écriture à contraintes, Ian Monk a traduit entre autres la Disparition et What a man !, court lipogramme en a, et a réalisé sous le titre de Threnodials des variations en anglais sur Ulcérations, poèmes de Perec qui, comme ses Alphabets, sont construits uniquement autour des onze lettres les plus fréquentes en français.

Après avoir traduit les Revenentes, roman de Perec qui n’utilise que la voyelle e, devenue en anglais The Exeter Text, il a également produit une version alternative de ce texte en français, en utilisant la contrainte inverse. Ce texte, qu’il a intitulé La Rapparition est ainsi une traduction des Revenentes dans un français… sans e. D’étonnantes acrobaties linguistiques qu’il évoque dans cette discussion avec Chris Clarke.

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