Sélection

Les odeurs, tout un art

Depuis Marcel Duchamp encapsulant l’Air de Paris en 1919, en passant par Piero Manzoni et ses boîtes de conserve de Merdes d’artiste en 1961, l’art du vingtième siècle est traversé de références olfactives. Aujourd’hui encore, plusieurs artistes contemporains utilisent les odeurs comme matériau de création à part entière.

Jim Drobnick, professeur à l’OCAD University à Toronto et spécialiste en art contemporain, souligne que les arts visuels opèrent un « tournant sensoriel » dans les années 1990. Depuis cette époque, au sein de nombreuses œuvres, « les sens ne sont plus les simples vecteurs de données brutes ; ils deviennent un moyen d’affirmer une identité, de constituer une communauté, et de produire de la connaissance ». Les odeurs constituent dès lors un matériau pour cette exploration perceptive. Le Palais de Tokyo l’a encore prouvé en octobre 2017, en présentant, en partenariat avec Cartier, l’installation odorante OSNI.1 (pour « Objet Sentant Non Identifié »).

En complément de la rencontre « Un siècle de parfums » organisée par la Bibliothèque publique d’information, nous vous proposons donc une sélection bibliographique autour d’œuvres qui éclairent ce rapport méconnu entre odeurs et arts plastiques.

Publié le 30/12/2017 - CC BY-NC-SA 4.0

Sélection de références

« Mes chroniques olfactives » dans L’Art olfactif contemporain, Chantal Jaquet (dir.)

Boris Raux
Classiques Garnier, 2015

En 2004, Boris Raux construit, entre le deuxième et le troisième étage de la galerie Le Rire Bleu à Figeac, un escalier fait de 250 kg de savon de Marseille qu’il intitule L’Escalier. L’odeur qui s’en dégage prédit au cerveau des visiteurs une chute pourtant illusoire, puisque le savon est sec. Par le biais de cette « fiction olfactive », Boris Raux cherche à interagir avec un spectateur d’art pris dans une logique de narration plutôt que de représentation. Il explore aussi le rapport à l’aseptisation de la société dont le « white cube » est, pour lui, emblématique.

À la Bpi, niveau 3, 704-9 ART

Michel Blazy, Exposition. Paris, le Plateau, 2012

Fonds régional d'art contemporain d'Île-de-France
Manuella, 2015

Michel Blazy travaille régulièrement les matériaux périssables dans ses œuvres : purée, oranges,… constituent des pièces en perpétuelle évolution au fur et à mesure qu’elles se décomposent et qu’elles accueillent divers insectes. Pour Lasagnes au four, en 2012, l’artiste propose un plat en trompe-l’œil, fait de matériaux chimiques, mais imbibé de d’agents olfactifs attirants, tels qu’une odeur de fromage fondu. Il questionne ainsi les limites du design alimentaire et de la consommation rapide, en mettant en opposition la lente décomposition visuelle du matériau avec son aspect olfactif, immédiatement attractif.

À la Bpi, niveau 3, 70″20″ BLAZ 2

« Smell, the Hybrid Art » dans L’Art olfactif contemporain, Chantal Jaquet (dir.)

Jim Drobnick
Classiques Garnier, 2015

Oswaldo Macia choisit à plusieurs reprises d’associer les odeurs aux sons dans ses œuvres. Son œuvre Cynic, en 2013, est composée d’un bac de verre rempli d’un liquide sombre, qui diffuse des effluves mêlées d’ambre, de safran, de cumin, et d’autres ingrédients, pendant que des haut-parleurs proposent une ambiance sonore faite de cris animaux, d’accouplement ou de détresse. Dans ses pièces, l’artiste cherche à révéler la singularité de chaque sens en le confrontant à l’autre.

À la Bpi, niveau 3, 704-9 ART

We stopped just here at the time | Centre Pompidou

L’artiste brésilien Ernesto Neto élabore des installations immersives, faites d’espaces viscéraux. Dans We stopped just here at the Time, réalisée en 2002, chacun est ainsi invité à déambuler entre les grappes d’épices enveloppées dans des poches de tissu translucides pendues au plafond. Avec cette oeuvre qui sollicite simultanément la vue, l’odorat et le toucher, l’effet sensoriel sur le visiteur est décuplé.

Lili Barbery-Coulon, "Sissel Tolaas : odeurs de trouble", Le Monde

Lili Barbery-Coulon, "Sissel Tolaas : odeurs de trouble", Le Monde

Sissel Tolaas est à la fois chercheuse et artiste. Depuis de nombreuses années, elle reconstitue et encapsule les odeurs les plus variées. En 2005, dans son installation The FEAR of smell — the smell of FEAR, elle dispose sur les murs peints de la biennale de Tirana une reconstitution des odeurs de sueur d’une vingtaine d’hommes atteints de phobies à l’idée de toucher les autres. L’activation de l’odeur est déclenchée en touchant les capsules contenant les odeurs. Ce faisant, Sissel Tolaas souhaite remettre au centre de l’attention la valeur anthropologique des odeurs, qui permettent à chacun de se définir et d’interagir avec les autres.

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