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Trouver refuge chez Le Corbusier

Après dix ans et deux échecs, Le Corbusier entre au Patrimoine Mondial de l’Humanité. Le comité de l’UNESCO l’a annoncé le dimanche 17 juillet 2016 à Istanbul, retardé d’une journée par la tentative de coup d’état. Sur la liste des dix-sept bâtiments inscrits de Charles-Edouard Jeanneret dit Le Corbusier (1887-1965), ou plus familièrement Corbu, la Cité de Refuge ne figure pas. Pourtant, un mois avant, en juin 2016, “l’usine à guérir” du 13e arrondissement de Paris opérait une renaissance après un grand chantier de rénovation de plusieurs années.

La Cité de Refuge a été conçue en 1929 par Le Corbusier et son cousin Pierre Jeanneret, à la demande de l’Armée du Salut : « une cité où toutes les misères, où l’errant, le chemineau, le fatigué, le désespéré, le meurt-de-faim, le sans-taudis, le sans-foi, le sans-Dieu pourra venir, avec la certitude d’être accueilli », selon les mots d’Albin Peyron, directeur de l’Armée du Salut à l’époque.

Aujourd’hui, ce manifeste d’architecture corbuséenne accueille 292 résidents, naufragés de la société, hommes et femmes sans abri, familles en situation précaire. Ce n’est pas un musée mais un lieu de vie où ses habitants eux-mêmes vous invitent à la visite, avec leurs mots, de façon à faire perdurer le projet social du Refuge et de répondre à la demande grandissante du public : « l’architecte connaît pierre par pierre le bâtiment, moi je leur parle plutôt de la vie sociale. J’habite ici, je m’y sens très bien. L’espace, la lumière, la liberté… vous vous rendez compte, j’habite un bâtiment qui est classé monument historique !” s’exclame l’un d’eux.   Le livre remarquable édité pour l’occasion, La Cité de Refuge, Le Corbusier et Pierre Jeanneret, l’usine à guérir, aborde les deux aspects du bâtiment : l’histoire mouvementée de son architecture, suivi de l’opération de rénovation avec ses enjeux contemporains de l’accueil social.

Un aspect marquant de sa rénovation est sa façade restaurée dans sa polychromie. Celle-ci n’avait pourtant pas été conçue ainsi dès l’origine. Le Corbusier s’était même illustré pour sa parfaite mauvaise foi en défendant un principe de façade entièrement vitrée, afin de mettre en application sa théorie de la « respiration exacte », système d’aération devant maintenir l’air à 18°C, mais qui n’a jamais fonctionné. L’auteur Gilles Ragot souligne : « Le Corbusier confond volontairement la dimension avant-gardiste et l’efficacité opérationnelle des solutions mises en œuvre, brandissant la première pour masquer l’échec de la seconde.»
L’architecte est revenu plusieurs fois sur le bâtiment et pose la question de l’état de référence à garder dans le cadre d’une restauration. L’ouvrage souligne ainsi la complexité de ce chantier avec ses enjeux de conservation-restauration, avec pour parti pris de ne pas renoncer à la mission sociale de la cité : l’accueil des sans-abris. Plutôt qu’une soumission à une quelconque doxa patrimoniale, il s’agit donc d’un savant dosage de restructuration, restitution à l’identique et de réinterprétation.   

Pour les plus chanceux, à partir de septembre 2016, il sera possible de trouver refuge en louant le temps d’une nuit la chambre de Winnaretta Singer, princesse de Polignac. Riche héritière de l’entreprise américaine de machine à coudre et épouse du prince Edmond de Polignac, elle est la muse des avant-gardes artistiques de l’époque et grande mécène de la Cité de Refuge, dans laquelle une chambre lui était réservée.



A découvrir aussi : Le Corbusier dans les collections de la Bpi.

Publié le 19/08/2016 - CC BY-NC-ND 3.0 FR

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