Sélection

Joe Sacco en 5 BD

À l’occasion du passage de Joe Sacco à la Bibliothèque publique d’information en février 2020, Balises vous propose une sélection de cinq albums qui rendent compte de la variété de son œuvre.

Journaliste et auteur de bandes dessinées, Joe Sacco est le précurseur de la bande dessinée de reportage, genre au sein duquel ses albums constituent des références incontournables. Auteur d’une vingtaine d’ouvrages dans lesquels il témoigne, entre autres, des tragédies du monde moderne, son travail est cependant d’une grande diversité.

Les récits de Joe Sacco s’appuient le plus souvent sur un patient travail d’enquête qui a mené l’auteur de Gaza à la Bosnie, de l’Irak aux régions sinistrées d’Amérique. Mais s’il est journaliste, Joe Sacco assume aussi pleinement sa subjectivité, parfois jusqu’à l’introspection, et il n’hésite pas à se mettre en scène pour raconter ces drames et leurs implications sensibles. Son dessin, toujours en noir et blanc, peut néanmoins prendre des formes très différentes : d’abord satirique et caricatural, marqué par la BD underground, il tend désormais vers un réalisme quasi-documentaire. 

Publié le 27/01/2020 - CC BY-NC-SA 4.0

Sélection de références

Payer la terre

Joe Sacco
Futuropolis, 2020

Dans les Territoires du Nord-Ouest du Canada, vit un peuple autochtone canadien dont la culture originelle est intimement liée à la terre : les Denes. Ce groupe des Premières Nations a longtemps vécu au contact de la nature, se nourrissant de sa pêche et de sa chasse, cousant, travaillant, construisant de ses mains le strict nécessaire pour vivre et se déplacer.
Mais cette terre précieuse et généreuse est la cible d’une exploitation organisée depuis plusieurs siècles. Les premiers colons mettent immédiatement en place la commercialisation de la fourrure d’animaux vivant dans les forêts. Depuis le début du 20e siècle, l’industrie pétrolière et gazière extrait des ressources pour la production d’hydrocarbures. Les pouvoirs publics encouragent et structurent ce commerce colossal dont les conséquences écologiques et sociales sont terribles.

Payer la terre est une bande dessinée-reportage magistrale qui retrace l’histoire passionnante et complexe des Denes. Dans une enquête de terrain minutieuse et engagée, Joe Sacco montre le processus par lequel les autorités mettent en place une politique fondée sur l’enrichissement des puissants, et ses conséquences : relâche du lien à la terre, appauvrissement d’une culture, négation d’un peuple et de son histoire.
Avec son trait atypique sublimé par des hachurages et des ombrages puissants, Joe Sacco donne toute sa profondeur à un récit indispensable.

À la Bpi, niveau 1, RG SAC P

La Grande Guerre, le premier jour de la bataille de la Somme reconstitué heure par heure

Joe Sacco
Arte Éditions, Futuropolis, 2014

La Grande Guerre est un ouvrage qui surprend d’abord par sa forme : il s’agit, littéralement, d’une « bande » dessinée, puisqu’elle est constituée d’une seule fresque qui se déplie en accordéon sur sept mètres de long. Inspiré par la tapisserie de Bayeux, Joe Sacco a choisi de retracer la première journée de la Bataille de la Somme, le 1er Juillet 1916, dans un récit entièrement graphique, sans textes ni dialogues : seul le livret d’accompagnement précise le déroulé des évènements et l’organisation des troupes anglaises.

Si Joe Sacco se tient du côté anglais dont la langue lui est familière (il a grandi en Australie), il ne focalise pas son récit sur quelques personnages, mais choisit au contraire une vue en surplomb. Tous les protagonistes, du général au simple soldat, apparaissent sur le même plan. La distance n’empêche pas la précision : Joe Sacco s’est longuement documenté à l’Imperial War Museum et en a étudié les archives photographiques. L’équipement des soldats, les pièces d’artillerie, les véhicules, les hommes et les chevaux sont dessinés avec une minutie impressionnante. Il a également travaillé avec l’historien Julian Putkowski pour comprendre comment cette bataille, longuement préparée, s’est soldée par 20 000 morts parmi les troupes britanniques…

À la Bpi, niveau 2, 930.721 SAC

Jours de destruction, jours de révolte

Joe Sacco et Chris Hedges
Futuropolis, 2012

Accompagné de Chris Hedges, journaliste au New York Times, Joe Sacco a passé deux années à parcourir les territoires sinistrés des États-Unis, où le capitalisme néolibéral fait des ravages. Chacun des cinq reportages rassemblés dans cet ouvrage révèle, derrière des situations particulières et dans des régions différentes, les méfaits d’un système qui détruit les hommes et l’environnement.

L’enquête commence dans les dernières réserves indiennes, où les populations qui ont été dépossédées de leurs terres sont aujourd’hui gangrénées par la drogue et la violence. Elle se poursuit à Camden, ville jadis prospère et désormais presque à l’abandon après deux décennies de délocalisations industrielles. Les auteurs se rendent ensuite à Welch, au milieu de territoires dévastés par l’exploitation du charbon, après que l’industrie minière a fini de raser les montagnes et de briser les mineurs. Un nouvel arrêt en Floride, à Immokalee, permet de découvrir la situation des ouvriers agricoles sud-américains, travailleurs privés de droits car clandestins, qui fuient la misère dans leur pays pour la retrouver de l’autre côté de la frontière.

Les planches en noir et blanc de Joe Sacco, qui illustrent le texte de Chris Hedges, montrent les paysages et les villes traversées. Le dessinateur s’est également attaché à mettre en image quelques témoins de ces histoires.

Si le tableau ainsi dressé laisse peu de place à l’optimisme, l’espoir apparaît pourtant à l’occasion de luttes syndicales victorieuses ou de solidarités qui ont permis de triompher des pires situations. Les auteurs concluent leur ouvrage sur le mouvement Occupy Wall street dans lequel ils ont voulu voir un tournant pour la politique et l’économie américaine.

Reportages : Palestine, Irak, Kushinagar, femmes tchétchènes, crimes de guerre, immigrants africains

Joe Sacco
Futuropolis, 2011

En 1998, à La Haye au Pays-Bas, s’ouvre le procès pour les crimes de guerre commis lors des récentes guerres des Balkans. Joe Sacco y assiste et interroge les avocats de la défense dans le cadre d’un reportage en quatre pages, en couleurs, pour la revue Details.  En 2001, Joe Sacco effectue un autre reportage, cette fois sur Hébron en Cisjordanie, pour Time Magazine. L’auteur juge alors que la neutralité qu’il a adoptée ne rend pas suffisamment compte du déséquilibre de la situation. Une erreur qu’il ne reproduit pas dans son reportage sur l’introduction d’armes et d’objets de contrebande par souterrain à Gaza pour le compte du New York Times. Il parvient à montrer l’inquiétude justifiée des Israéliens, mais aussi la disproportion de la campagne de démolition de maisons entreprise pour y remédier.

Joe Sacco réunit dans cet album d’autres travaux publiés avant 2011 dans la presse internationale. Les sujets sont divers : les femmes tchétchènes, les migrants africains à Malte, les conditions de vie des villageois en Inde, l’armée américaine en Irak. Ils ont tous en commun de donner la parole aux invisibles, aux opprimés, à ceux qui souffrent et vivent dans la précarité. Joe Sacco se met en scène, raconte les difficultés rencontrées ou l’absence de témoignages qui pourraient changer la perception de la situation. Il rend compte également de la version des puissants ou des officiels. Bien qu’engagé, il est avant tout journaliste et respecte une éthique qu’il résume dans son avant-propos.

Chaque thème est accompagné d’un petit texte du reporter BD pour donner quelques détails sur les conditions du reportage, les écueils, la réception auprès du public ou du commanditaire. Cet album permet de découvrir le travail de Joe Sacco et de revenir sur des événements tragiques du 20e et du 21e siècle avec un peu de recul.

À la Bpi, niveau 1, RG SAC R

Le Rock et Moi

Joe Sacco
Rackham, 2002

Le Rock et Moi est une anthologie de dessins publiés dans des magazines alternatifs de musique. Joe Sacco brosse des portraits ironiques et crus d’aspirants rockstars, de groupies, de producteurs véreux, de roadies rencontrés ou imaginés lors de ses voyages en Europe dans les années quatre-vingts et quatre-vingt-dix. Les travers des rockstars sont décortiqués et présentés ici comme des illusions. Les propos de Joe Sacco s’inspirent du titre You Want To Be a Rock’n’roll Star du groupe The Byrds qui critique de manière acerbe les groupes taillés sur mesure pour l’industrie du disque des années soixante.

Les dessins en noir et blanc rappellent ceux du dessinateur Robert Crumb et de la revue Fluide Glacial mais aussi ceux de Jean-Christophe Menu avec sa série de mini-chroniques sur le rock underground parues dans Chroquettes. Le graphisme volontairement exagéré diffère de ses bandes dessinées documentaires. Cette BD hors normes démonte les uns après les autres tous les poncifs du rock, avec beaucoup d’humour.