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Lecture et écrans

La lecture est partout. Il suffit d’un voyage, pour qu’un changement d’alphabet nous fasse prendre conscience des actes de lecture quotidiens que l’on fait sans y penser, comme s’orienter dans une ville ou un métro en déchiffrant des panneaux. Ils s’ajoutent à ceux que l’on considère comme tels : lecture attentive d’un article, d’une bande dessinée ou d’un roman, ou encore prise d’information dans un annuaire ou un journal…Que deviennent ces actes de lecture sur écran ? Qu’en est-il de leur pédagogie, de leur ergonomie ? Peut-on parler de « lettrés du numérique » ?

Tablette déposée sur une pile de livres
Martouf, domaine public

Vers de nouvelles pédagogies d’apprentissage de la lecture ?
Ergonomie de la lecture sur écran : une plus grande complexité ?

De nouvelles stratégies de lecture
Etre lecteur / être lettré ?

Vers de nouvelles pédagogies d’apprentissage de la lecture ?

Est-ce que les écrans, partout présents dans nos vies, ont changé les méthodes
d’ apprentissage de la lecture ?
Comment les débats qui opposent les pédagogues de la lecture se replacent-ils au moment où les enfants observent plus souvent des adultes lisant sur écrans (smartphone, tablettes, ordinateurs…) que sur papier (livres, journaux …) ?

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L’apprentissage de la lecture

Eliane et Jacques Fijalkow
Milan, 2010
À la Bpi, niveau 1, ENC A ESS 307
Pour aborder la question de l’apprentissage de la lecture, ce petit guide présente tous les pré-requis nécessaires et les différentes étapes de son acquisition. Il met également en lumière l’importance des aspects sociaux et affectifs.
 

Depuis décembre 2012, l’ Education nationale a fait de la question du numérique une priorité pour l’école au travers de son programme Faire entrer l’école dans l’ère du numérique. Elle propose d’ailleurs sur son portail  Eduscol un dossier documentaire très complet « Lecture sur écran » indispensable pour ceux qui s’intéressent à la question : bibliographies, liens vers des articles, sélection de captations vidéos  de conférence…
Cependant, un tour d’horizon des sites officiels ne donne pas tant d’exemples concrets d’utilisation d’outils numériques dans la phase d’apprentissage de la lecture :

  • Le Centre national de la documentation pédagogique (CNDP) a mis en ligne  le site  Lire au CP. Si plusieurs vidéos présentent une année de CP et d’apprentissage de la lecture/écriture, les situations de classe restent néanmoins très classiques. Les nouvelles technologies n’y tiennent pas une place particulière.
  • Le sitebien(!)lire est incontournable pour les enseignants. Il propose une synthèse de l’évolution des pratiques pédagogiques des dix dernières années. Quoique très complet sur les programmes, les méthodes utilisées, les enquêtes internationales, les outils développés en matière d’évaluation par exemple, la question des écrans n’est que peu présente : uniquement dans l’agenda et les propositions de formation….

Pourtant, depuis une vingtaine d’années, des ouvrages soulignent l’importance des outils pédagogiques informatiques dans l’enseignement de la lecture. Comme, par exemple, L’Enfant, le Maître et la Lecture, du pédagogue et chercheur Jean Foucambert, paru en 1994

L’Enfant, le Maître et la Lecture
Jean Foucambert
Nathan, 1994
À la Bpi, niveau 2, 372.41 FOU

L’Association française pour la lecture (AFL) développe depuis les années 90 des logiciels permettant d’effectuer des opérations sur des textes, de fabriquer des exercices à partir de textes pris dans l’environnement de la classe (pour éviter les manuels décontextualisés). Elle préconise d’utiliser l’informatique qui permet notamment une gestion individualisée du travail personnel.  Le dossier de l’AFL sur la « voie directe »  souligne que l’ordinateur modifie le rapport de l’enfant à l’adulte, à l’erreur, à la réussite. Il présente les exercices d’approfondissement de lecture/écriture que le logiciel ELMO, développé par l’association, permet de construire. 

Ergonomie de la lecture sur écran : une plus grande complexité ?

 La lecture sur écran est l’objet de nombreuses études tant d’un point de vue ergonomique qu’en sciences cognitives. Les concepteurs de site Web, par exemple, s’intéressent de près à la question de la lisibilité des sites. Les scientifiques et les pédagogues se posent la question du devenir des « neurones de la lecture » dans un environnement numérique, pour reprendre l’expression de Stanislas Dehaene.

La table ronde du salon du livre 2012 intitulée  « ce que la lecture fait au cerveau » présente de façon très claire les processus cognitifs en oeuvre dans l’apprentissage et la pratique de la lecture puis les modifications qui s’opèrent lorsque l’on lit sur écran. Si la captation vidéo est de piètre qualité, les interventions, elles, sont tout à fait instructives.

Thierry Baccino rend compte, dans son ouvrage la lecture électronique, des recherches faites en matière de psychologie de la lecture, en particulier sur les modifications opérées par les nouveaux supports d’écriture.

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La lecture électronique

Thierry Baccino
Presse universitaires de Grenoble, 2004
À la Bpi, niveau 2, 036 BAC

Il explique comment le système cognitif s’adapte à la ligne de texte en ajustant au mieux les mécanismes de déplacement oculaire. La qualité et la quantité d’information perçue en une seule fixation varient selon le type de code écrit : écriture syllabique, idéographique ou musicale.

Il étudie comment les affichages dynamiques perturbent la mise en cohérence du texte par le lecteur. Dans un document hypertexte, c’est le lecteur qui choisit la structure textuelle. Cette liberté de choix mobilise des stratégies de lecture différentes : « La compréhension d’un document, qui émane de l’activité de deux processus (construction et intégration), nécessite, pour un hypertexte, une opération supplémentaire qui consiste à construire la trame textuelle qui guidera son exploration. Cette opération requiert de la part du lecteur une grande connaissance du domaine. »  L’auteur préconise, par exemple, pour l’écriture sur écran un affichage page à page moins perturbant pour cette activité que le « scrolling » où le texte défile verticalement par le déplacement d’un curseur… Il conclut sur les améliorations à apporter via des études ergonomiques.

De nouvelles stratégies de lecture

Affiches, journaux, magazines… l’imprimé offre de multiples supports qui induisent des possibilités de lecture différentes et sur lesquels on ne s’attend pas à trouver le même type d’informations. L’écran, lui, offre sur le même plan toutes sortes d’écrits, des textes, des images. Mais sous cette apparente uniformité demeure une grande hétérogénéité de contenus. Il est donc plus que jamais nécessaire que le lecteur se construise une stratégie de lecture adaptée à sa démarche, qu’il prenne conscience de sa lecture.

logo Le lecteur à l'oeuvre

L’exposition en ligne le lecteur à l’oeuvre proposée par Fondation Bodmer propose un très riche inventaire des actions des lecteurs sur les livres à travers des exemples pris dans l’histoire du livre : corriger, expliquer, éditer, traduire, illustrer, annoter, manipuler … Des actions qui appartiennent à tous les lecteurs et d’autres qui, dans le monde de l’imprimé, sont le propre de lecteurs spécialisés (éditeur par exemple) alors que dans le monde du web, elles appartiennent à tous.

 Une enquête menée auprès des usagers du web en 2003 a inventorié les différentes manières de lire : déchiffrer, manipuler, naviguer, arpenter…

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L’Outre-lecture, manipuler, (s’)approprier, interpréter le Web

Franck Ghitallia, Dominique Boullier, Pergia Gkouskou-Giannakou, Laurence Le Douarin et Aurélie Neau
Bibliothèque publique d’information/Centre Pompidou, 2003

Les auteurs rappellent que la lecture est «une activité complexe et multimodale». Ils soulignent que «Si le livre et l’Internet offrent tous deux un univers textuel, le premier le balise selon un fil directeur auquel le lecteur, en fonction de ses objectifs, peut ne pas se soumettre alors que le second, plus étendu, oblige le lecteur à structurer l’information, à lui donner du sens, à élaborer des recoupements entre les différentes pages activées par les liens ou les labels, en bref, à se forger un fil directeur dans la forêt touffue des informations. » Ils abordent une certaine confusion entre « lecture » et « navigation ». Et passent en revue plusieurs comportements de lecture étudiés, notamment, par Richaudeau dans Sur la lecture : « varier sa vitesse de lecture… et même ne pas lire l’intégralité de son texte ; bref procéder à des lectures partielles : lecture d’écrémage, de recherche, de survol. Face à un nouveau texte, le lecteur définit sa stratégie, puis entame sa lecture avec flexibilité. » 

Etre lecteur / être lettré ?

Etre en train de lire, pour aussi banal que cela puisse paraître, revêt dans les faits plusieurs formes : lecture approfondie ou au contraire, prise ponctuelle d’information.
Il y a différence entre savoir lire et entrer dans la culture écrite.
Le numérique change-t-il les données du débat? Serait-on en train de créer des « illettrés du numérique »?

Jean Foucambert, que nous avons déjà cité, offre le point de vue d’un pédagogue de la lecture. Il décrit la distance qu’il y a entre savoir lire et entrer dans la culture écrite. 

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Question de lecture

Jean Foucambert
AFL, 1989
À la Bpi, niveau 2, 372.41 FOU

Il explique notamment dans le chapitre L’analphabétisme n’est plus ce qu’il était, que l’écrit a juxtaposé deux fonctions :  » l’une qui est une sorte de communication différée par l’éloignement de l’émetteur et du récepteur mais qui se conçoit avec toutes les caractéristiques de l’oral ; l’autre qui relève spécifiquement de l’usage de l’écrit […] comme une distanciation […] pour rendre compte [d’un événement] à un autre niveau, à travers un effort de théorisation et de modélisation qui l’exprime dans sa globalité. »

Dans un ouvrage qui s’interroge sur la lecture des textes littéraires, Yves Citton montre que les compétences qu’on met en œuvre dans cette pratique sont transférables dans les autres domaines d’activités de la vie sociale.

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Lire, interpréter, actualiser : pourquoi les études littéraires ?

Yves Citton
Amsterdam, 2007
À la Bpi, niveau 3, 81.01 CIT

L’auteur propose  la définition suivante de «  Littéracie » qui qualifie à la fois « être lecteur » et « être lettré »  : « traduction du mot anglais literacy, qui désigne la capacité  à tirer d’un message les informations nécessaires à sa bonne utilisation, ce qui implique non seulement un état d’alphabétisation, mais toute une série (potentiellement ouverte) de compétences bien plus élaborées permettant de maîtriser les normes cognitives, discursives, et pragmatiques en vigueur au sein d’une collectivité.».
Ainsi définie, la littéracie s’entend pour la lecture sur écran comme pour la lecture sur papier.

À propos de la lecture numérique, Alain Giffard fait lui aussi une distinction entre lecture savante et ce qu’il appelle de manière quelque peu polémique « ignorance assistée par ordinateur ».

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Pour en finir avec la mécroissance : quelques réflexions d’Ars industrialis

Christian Fauré, Alain Giffard et Bernard Stiegler,
Flammarion, 2009
À la Bpi niveau 2, 339.62 STI

Dans la deuxième partie de cet ouvrage intitulée Des lectures industrielles,  Alain Giffard examine la lecture numérique comme pratique. Il distingue lui aussi les différentes actions de lecteurs : celles qui correspondent à des actions « de toujours » des lecteurs « de toujours », comme marquer une page, l’annoter, la copier.. ;  celles qui, dans l’univers de l’imprimé, appartenaient aux seuls éditeurs comme l’établissement du texte ou la publication.
Il souligne ensuite la part prépondérante prise par ce qu’il appelle « prélecture » : exploration, sélection, choix, dans la lecture électronique. Il remarque que la lecture approfondie passe souvent par l’impression du texte et l’abandon de l’écran.

Il conclut  « La lecture d’étude conserve aujourd’hui un caractère hybride, elle associe écran et papier. Les lecteurs confirmés n’ont pas de difficultés à maîtriser ce caractère hybride. Ils ne confondent pas information et connaissance structurée. (…) Mais la situation est bien différente pour le lecteur débutant (…) Si ce lecteur ne dispose pas d’une bonne formation lui permettant de distinguer les diverses pratiques de lecture, c’est-à-dire d’une bonne culture de l’écrit, les difficultés qui viennent d’être rappelées joueront toutes dans le même sens : la confusion sur la signification culturelle profonde de ce qu’il effectue sous l’étiquette d’une opération de lecture. » 
 Pour une définition de ces « lettrés du numérique », on pourra se référer au chapitre intitulé Quelle école pour la société de la connaissance ?  de Julien Gautier et Guillaume Vergne.

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L’école, le numérique et la société qui vient

Denis Kambouchner, Philippe Meirieu, Bernard Stiegler
Mille et une nuits, 2012
À la Bpi, niveau 2, 371.36 KAM

 « Mais si l’école d’aujourd’hui et de demain, s’adressant aux digital natives, a en effet besoin , pour ainsi dire « d’enseignants numériques » -de digital teachers-, il ne doit pas s’agir de les transformer eux-mêmes en utilisateurs simplement adroits, voire effrénés des nouvelles technologies, à l’image de leurs élèves. Il faut surtout leur donner les moyens de penser ces pratiques  et de s’orienter dans le foisonnement des instruments offerts par l ‘époque, condition nécessaire pour qu’ils soient en mesure ensuite, en classe, d’en éclairer autant que possible le sens et, surtout, de construire les conditions d’un rapport raffiné, rationnel et critique aux outils et medias environnants, seul objectif légitime qu’une école puisse se donner à cet égard ».

Publié le 27/09/2013 - CC BY-SA 4.0

Sélection de références

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Association française pour la lecture

Écrit et surdité. Les recherches et les travaux que notre association développe depuis 25 ans nous amènent à formuler notre démarche pour l’appropriation de la lecture et de l’écriture avec les termes suivants : apprentissage linguistique de l’écrit.
Les personnes en situation de handicap obligent à élargir la notion de « lecture » à tous les accès aux textes, qu’ils soient visuels ou auditifs. De nombreuses personnes aveugles utilisent le son pour avoir accès à des textes via le format Daisy.

Le site de de l’AFL propose un dossier Lecture et surdité datant de 2002 qui présente les progrès de la notion de bilinguisme (langue des signes et français écrit langue seconde) dans l’enseignement de la lecture pour les personnes sourdes, et, sur la même page, une présentation du logiciel (Vidéographix) utilisé depuis 2008 dans des classes pour l’apprentissage de la lecture par des personnes sourdes.