Sélection

Appartient au dossier : 40 ans / 40 romans

40 ans / 40 romans : les années 2010

Quoi de commun entre l’imaginaire apocalyptique de William T. Vollmann et Antoine Volodine, le roman chabrolien de Tanguy Viel et les rêveries orientalisantes de Mathias Enard ?

Pas grand-chose en réalité, si ce n’est une certaine idée de la création romanesque, comme outil de compréhension du monde et de soi-même… et le recours à une forme mouvante et mondiale, appelée roman, qui ne cesse de se réinventer, faisant écho à la phrase célèbre de Somerset Maugham : « Il y a trois règles à respecter pour écrire un roman. Malheureusement, personne ne les connaît ».

Publié le 25/09/2017 - CC BY-SA 3.0 FR

Sélection de références

Roman

Vladimir Sorokine
Verdier, 2010

Qui est le véritable héros de Roman de Vladimir Sorokine ? Est-ce Roman, jeune avocat qui décide de quitter la ville pour revenir habiter chez son oncle et sa tante, qui l’ont élevé ? Ou bien est-ce le roman russe lui-même, et son histoire tumultueuse qui accompagne celle de la Russie ?

On se demande parfois, à lire les délicats troubles amoureux de Roman et sa vie dans une campagne russe désuète, si on n’est pas égaré chez Dostoïevski, Pouchkine ou Tolstoï. Mais en transportant soudainement son texte sur le terrain d’un roman contemporain sec et teinté d’absurdité existentielle, Sorokine finit par retourner toutes les attentes. Dans une effarante explosion de violence finale, il signe l’acte de décès du genre romanesque et dynamite les défenseurs nostalgiques d’un « âge d’or » du roman russe. Un acte de vandalisme qui redonne un sérieux coup de fouet à une littérature perçue comme déclinante.

A la Bpi, niveau 3, 882 SORO 4 RO

Que font les rennes après Noël ?

Olivia Rosenthal
Verticales, 2010

Comment renouveler aujourd’hui la forme du roman ? Olivia Rosenthal, au fil des textes, apporte ses propres réponses à cette question avec un dispositif qui mêle la matière romanesque au documentaire.

Dans Que font les rennes après Noël ?, c’est l’histoire d’une jeune femme docile, passionnée par les animaux, qui se trouve entrecoupée de témoignages techniques donnant à entendre les voix d’un éleveur de loups, d’un boucher ou encore d’un soigneur animalier. Animaux sauvages ou d’élevage, de laboratoire ou de zoo jettent des éclairages nouveaux sur le récit central, dans un jeu de miroirs sans cesse renouvelé. Qui est libre, qui est en cage ? Qui est civilisé, qui est sauvage ? Atteignant la maîtrise parfaite de cette forme hybride qui lui appartient, Olivia Rosenthal écrit un grand roman sur le désir humain et le passage à l’âge adulte, hanté par ses interrogations sur l’animal en nous.

A la Bpi, niveau 3, 840″20″ ROSE 4 QU

Viva

Viva

Patrick Deville
Seuil, 2015

Sans s’y être croisés, Malcolm Lowry et Léon Trotsky ont marqué le Mexique des années 1930. L’un y est exilé, l’autre y mène la vie déréglée qui inspira son chef d’œuvre, Sous le volcan. Tous deux incarnent une certaine idée de la révolution, et sont au centre de Viva, fresque érudite hantée par le souvenir vénéneux du roman de Lowry.

Patrick Deville y élève le name-dropping au rang d’art et fait comparaître autour de Trotsky et Lowry un choeur de fantômes – de Frida Khalo à Antonin Artaud ou André Breton. Après Kampuchéa et Peste et Choléra, Viva affirme son talent particulier pour faire de fils anecdotiques épars un canevas total, une toile qui tire le roman vers une forme d’essai historique à l’échelle du monde, et à la mesure du désir d’absolu de deux hommes qui nous crient “qu’à l’impossible chacun de nous est tenu”.

A la Bpi, niveau 3, 840″19″ DEVI 4 VI

Terminus radieux

Terminus radieux

Antoine Volodine
Seuil, 2015

Cette fois-ci, c’est la fin. La Deuxième Union soviétique et son rêve de fraternité planétaire ont échoué. La guerre s’est accompagnée de catastrophes nucléaires. Dans cet univers post-apocalyptique, quelques êtres survivent et errent à travers les steppes. Sont-ils encore vivants ? Rien n’est moins sûr. Dans les romans de Volodine, la mort se confond avec la vie et les rêves. Le temps et l’espace peuvent s’allonger ou se rétrécir. Comme dans les mythes et les contes, un personnage peut prendre l’apparence d’un animal. Pourtant, rien ne semble plus réel que cet univers imaginaire d’une singulière cohérence où l’on se surprend à rire au milieu du désastre. Antoine Volodine est un grand sorcier.

À la Bpi, niveau 3, 840″19″ VOLO 4 TE

Boussole

Boussole

Mathias Enard
Actes Sud, 2015

Alors que l’obscurité se fait sur Vienne, Frantz Ritter se prépare à une nuit d’insomnie. Tenu éveillé par son obsession pour l’insaisissable Sarah, ce musicologue entraîne le lecteur vers l’Orient, au gré d’un brillant voyage artistique et historique.

Mathias Enard, dans le tourbillon d’érudition qu’est Boussole, dessine les contours d’un monde aux mille et une splendeurs et n’entreprend rien de moins qu’une petite histoire des relations entre Orient et Occident. Musiciens, écrivains, peintres ou historiens peuplent cette fiévreuse insomnie d’amour, avec pour point commun leur passion pour l’Est. Les fantasmes de déserts infinis et de sables d’or des orientalistes du 19e siècle se mêlent alors à l’âpre réalité : la rupture de liens séculaires entre les peuples et la destruction de patrimoines inestimables… Le chant d’amour qu’est Boussole se propose d’œuvrer à une réconciliation sur l’autel de l’art et de la sensualité.

A la Bpi, niveau 3, 840″20″ ENAR 4 BO

Envoyée spéciale

Jean Echenoz
Minuit, 2016

Une bande de barbouzes quelque peu désorganisés, un général sur le retour qui rêve d’un dernier grand coup, une jeune ingénue qui n’a rien demandé, et certainement pas qu’on l’envoie jouer les mouchardes en Corée du Nord… Tous les ingrédients sont là pour renouer avec la veine du roman d’espionnage rocambolesque, premier amour de Jean Echenoz.

Plus de vingt ans après Lac ou Cherokee, Echenoz démontre à nouveau sa virtuosité narrative : dans la folle machine qu’est Envoyée spéciale, tout – et, à l’occasion, n’importe quoi – peut alimenter le moteur de l’action. Interventions furtives du narrateur, deus ex-machina insensés, clins d’œil auto-référentiels insistants… Pastiche goguenard et retors, Envoyée Spéciale conjugue la malice pince-sans-rire du jeune Echenoz à l’impeccable maîtrise stylistique de l’œuvre de maturité.

À la Bpi, niveau 3, 840″19″ ECHE 4 EN

Les anges radieux

William Tanner Vollmann
Actes Sud, 2016

Sur tout le continent américain, la guerre fait rage. Face à un groupe d’hommes dont l’intention est d’électrifier le globe, les insectes résistent, bien décidés à asseoir leur hégémonie. Entre uchronie et science-fiction, Les Anges radieux fait le portrait acide d’une humanité insectoïde, et émiette l’Histoire américaine – de la conquête de l’Ouest à l’explosion de la Silicon Valley – pour mieux la disséquer.

Chez Vollmann, le dispositif narratif – baroque voire labyrinthique – compte autant que le récit en lui-même. La réalité se fait instable au gré de la narration, glisse entre les doigts comme une anguille ou se trouve soudain prise de convulsions. Critique du capitalisme, du rêve américain et du tout-technologique, opposé à un imaginaire libertaire lui aussi sur le déclin : William T. Vollmann brasse et malaxe les grands thèmes du roman américain contemporain dans une forme qui ne se fixe aucune limite, tutoyant dès ce premier roman les grands aînés que sont Thomas Pynchon ou Kurt Vonnegut.

A la Bpi, niveau 3, 821 VOLL 4 YO

Article 353 du code pénal

Article 353 du code pénal

Tanguy Viel
Minuit, 2017

Martial Kermeur a-t-il eu raison de se faire justice lui-même ? Dans le bureau du juge d’instruction, il déplie et démêle son cheminement vers le jour où il a jeté à l’eau Antoine Lazenec, promoteur immobilier responsable de sa ruine, et l’a regardé se noyer.

Dans son témoignage livré en huis-clos, se mêlent la débâcle intime et celle de toute une région éreintée par la crise : Kermeur, ancien ouvrier de l’arsenal de Brest, se fait malgré lui la voix de tous ceux qui restent démunis face à ceux qui mènent le jeu. Parabole sociale et politique en même temps que réflexion sur la notion de justice, Article 353 du code pénal peint en nuances de gris mais dans une langue toujours verte, marquée par une oralité qui confine parfois à un lyrisme inattendu, une société sclérosée dans laquelle la responsabilité du Mal ne saurait être personnelle.

A la Bpi, niveau 3, 840″20″ VIEL 4 AR

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