Chronique

Et que celui qui a soif, vienne, de Sylvain Pattieu

Démodées et puériles, les histoires de pirates ? Bien loin des marins pittoresques de Stevenson ou Jules Verne, Sylvain Pattieu, romancier et historien, entame un véritable travail de rénovation du roman de piraterie, dans lequel il n’hésite pas à introduire des enjeux politiques extrêmement contemporains.
et que celui qui a soif vienne - sylvain pattieu - couv
A la Bpi, 840″20″ PATT 4 ET

C’est une scène sanglante qui se prépare sur l’Enterprize. Grâce à la complicité d’un mousse corrompu, les esclaves retenus dans la cale s’apprêtent à profiter de la nuit pour prendre le contrôle du navire et massacrer ses hommes.
Au même instant, l’équipage du Batavia, composé de marchands aux dents longues et de marins opportunistes, fait route paisiblement vers les Indes afin d’y embarquer une précieuse cargaison. Non loin de là, ce sont les pirates du Fancy qui s’apprêtent à partir à l’abordage du Florissant sous les ordres du capitaine John Calico, bien décidé à ne pas faire de prisonniers.

En narrant les aventures de tous ces marins, c’est d’abord un roman d’historien que compose Sylvain Pattieu. Méticuleusement documenté, Et que celui qui a soif, vienne nous plonge avec un réalisme vibrant dans la vie quotidienne des trois navires. On est bien loin des pirouettes et du folklore d’un Pirate des Caraïbes : ce que décrit Sylvain Pattieu, c’est une vie rude, misérable parfois, sordide souvent. Peuplés de personnages condamnés à errer aux marges de la société – des pirates mais aussi des esclaves, des bagnards, des religieux défroqués et des prostituées -, les bateaux sur lesquels nous embarquons sont de véritables Cours des miracles.

Au fil du texte et des rebondissements romanesques, toutes ces figures de l’exclusion vont se croiser, s’approcher, et finir par constituer un groupe uni, rassemblé autour d’un projet de vie utopique, une sorte de Commune navigante qui prône la plus parfaite égalité entre tous ses membres et s’oppose, par définition, à l’équipage du Batavia, ramassis de mercenaires cyniques à la solde de la Compagnie des Indes. Comme quoi on peut aussi parler de politique avec des histoires de pirates… Sylvain Pattieu évoque d’ailleurs Libertalia, légendaire colonie supposément fondée à Madagascar au 17e siècle et véritable utopie libertaire.
Le sous-texte engagé, s’il est évident, ne cède pas moins la place lorsque cela s’avère nécessaire à de grandes scènes épiques qui font honneur au genre du roman de piraterie, avec force coups d’épées et de canon. Bousculant quelque peu les habitudes, Sylvain Pattieu s’attache aussi – sans que cela soit en conflit avec la vraisemblance historique d’ailleurs – à diversifier ses personnages : pour une fois, les femmes pirates ne sont ni absentes, ni passives, et Pattieu travaille à redonner une voix, sans complaisance, aux victimes de l’esclavage.

Quoi qu’il en soit, le roman d’aventures et le récit de piraterie étant très codifiés et surtout très marqués par des modèles indéboulonnables, on s’attend à voir évoqués quelques fantômes bien connus dans Et que celui qui a soif, vienne. Sylvain Pattieu lui-même indique à plusieurs reprises que des “chimères littéraires” circulent dans le roman… Pourtant, on peinera à reconnaître les silhouettes pittoresques du Long John Silver de Robert Stevenson ou du Rackham-le-Rouge d’Hergé dans les personnages qui peuplent l’Enterprize, le Florissant et le Batavia. Sylvain Pattieu nourrit bien son texte de références littéraires, mais il les pioche ailleurs, dans d’autres genres, ce qui donne un mélange détonnant.

Ainsi, si l’on trouve quelques références manifestes à des œuvres classiques – en premier lieu Manon Lescaut, dont on rencontre une sorte de double -, la plupart des influences revendiquées par Sylvain Pattieu dans la longue et passionnante note d’intention qui referme le livre sont résolument modernes. Sont cités de récents romans d’aventure qui en renouvellent les formes, comme les Luminaires d’Eleonor Catton ou Ce qu’il advint du sauvage blanc de François Garde, et surtout – dans un autre genre – Faillir être flingué de Céline Minard.

Que Sylvain Pattieu mette particulièrement l’accent sur cette influence-là relève de l’évidence. De nombreux auteurs se sont emparés ces dernières années, à l’instar de Céline Minard, du genre du western, et l’ont débarrassé de son aura légèrement kitsch en l’abordant avec ambition et en se jouant de ce que le genre contient d’imaginaire collectif. Sylvain Pattieu ouvre la voie pour un travail similaire sur le roman de piraterie, et signe avec Et que celui qui a soif, vienne un roman foisonnant et haletant, résolument subversif dans sa façon de s’emparer des codes d’un genre désuet pour nous parler de mondialisation et d’aspirations révolutionnaires.

Publié le 18/05/2016 - CC BY-SA 3.0 FR

Sélection de références

Sylvain Pattieu - Capture YouTube

Présentation du roman - Librairie Mollat

Sylvain Pattieu présente son ouvrage « Et que celui qui a soif, vienne, un roman de pirates » aux éditions du Rouergue.

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