Portrait

Jacques Roubaud, compositeur de mathématique et de poésie

Littérature et BD

Photo Cécile Desauziers, Bibliothèque publique d'information (cc-By-NC-Nd 2.0), 2012

Jacques Roubaud se définit modestement comme « compositeur de mathématique et de poésie ». Pourtant c’est l’un des auteurs les plus importants de la littérature française contemporaine.

Il a publié de nombreux recueils de poésie, des romans, des pièces de théâtre, des récits autobiographiques, des livres pour enfants. Il est aussi traducteur et spécialiste des questions poétiques notamment la poésie des troubadours et la poésie japonaise. Durant de nombreuses années, il exerça le métier de professeur de mathématiques. Il est membre de l’OuLIPo depuis 1966.

Son oeuvre prolifique a souvent été récompensée : Prix France Culture (1986), Grand prix national de la poésie (1990), Grand prix de littérature Paul-Morand de l’Académie française (2008).

Jacques Roubaud en quelques dates

Jacques Roubaud est né le  5 décembre 1932 à Caluire-et-Cuire (Rhône). Ses parents sont tous deux professeurs, ce qui n’est pas si commun à cette époque. Sa mère fut même dans les premières femmes entrées à l’Ecole normale supérieure en 1927. La famille vit à Carcassonne puis s’installe à Paris à la Libération.
En 1944, Jacques Roubaud publie son premier recueil Poésies juvéniles (il a 12 ans). Il est rapidement repéré par Aragon qu’il fréquentera pendant plusieurs années. Etudiant en hypokhâgne, licencié d’anglais, il change brusquement de voie par refus de l’analyse universitaire de la poésie. Il s’oriente alors  vers les mathématiques, séduit par le collectif Bourbaki et par la perspective de s’assumer financièrement. Il deviendra professeur de mathématiques tout en continuant la poésie.
Dès 1961, en réaction au suicide de son frère, il se plonge dans une grande entreprise créatrice sur plusieurs fronts (mathématiques, poésie et roman) : le Projet. Ce Projet l’occupera de longues années mais le roman ne sera jamais écrit. Adepte du sonnet, spécialiste de la poésie des troubadours, il rencontre la poésie médiévale japonaise et avec elle, un réservoir de contraintes et de formes nouvelles.
En 1966, il rejoint l’OuLIPo (ouvroir de littérature potentielle) fondé par Raymond Queneau et François le Lionnais. Les fondements de la pensée roubaldienne sont posés et à partir de 1967, le poète publie au rythme d’un ouvrage par an.
En 1983, la mort brutale de sa femme Alix Cléo entraine Jacques Roubaud dans un longue période de silence. Il commence l’écriture du grand incendie de Londres (publié en 1989), récit quasi autobiographique dans lequel il revient sur le Projet et son échec, ce roman rêvé et jamais écrit.
La publication en 1986 de Quelque chose noir marque son retour à l’exploration des genres et l’oeuvre retrouve son foisonnement. Il poursuit son cycle de prose autobiographique en publiant six volumes complémentaires.
Infatigable, Jacques Roubaud participe à de nombreux événements littéraires, en son nom ou en tant que membre de l’OuLIPo, comme les jeudis de l’OuLIPo à la Bnf.
En novembre 2012, il publie Ode à la ligne 29 des autobus parisiens, chez Attila.

Quand Jacques Roubaud se raconte…

Au travers de ses écrits : Le grand incendie de Londres et ses branches

Le grand incendie de Londres et cinq autres récits : La Destruction, La Boucle, Mathématique :, Impératif catégorique, Poésie :, La Bibliothèque de Warburg. Ces oeuvres, souvent considérées comme autobiographiques bien que l’auteur s’en défende, ont été rassemblées et publiées en 2009 par les éditions du Seuil. A compléter avec La Dissolution, Nous Eds, 2008.

la couverture du Grand incendie de Londres

A la Bpi,  niveau 3, 840″19″ ROUB 4 GER et 840″19″ ROUB 4 DI

Dans ces récits en prose avec incises et bifurcations, on suit Jacques Roubaud dans le cheminement de ses pensées. Il raconte le Projet, le roman inachevé, la poésie, les mathématiques, son processus de création, son enfance… Une vision fragmentaire et romancée de Jacques Roubaud et de son oeuvre.

Dans un film documentaire

Dans cet extrait du film « Jacques Roubaud » par Natacha Nisic, Jacques Roubaud explique son Projet.
« Jacques Roubaud » (Histoires d’écrivains) / réalisé par Natacha Nisic. – Production : La Cinquième, MK2 TV, 2000. A visionner à la Bpi.

Le travail de Jacques Roubaud, en quelques traits

La forme et la contrainte

Avant même d’intégrer l’OuLIpo (l’Ouvroir de littérature potentielle), Jacques Roubaud s’impose des contraintes de forme. Il aime le sonnet et la richesse de sa forme, mais pour enrichir sa poésie, il étudie celle des autres : la poésie contemporaine, la poésie ancienne et  la poésie étrangère. Il devient un spécialiste reconnu et publie de nombreux ouvrages sur le sonnet : Soleil du soleil, anthologie du sonnet française de Marot à MalherbeLe sonnet en France 1631 / 1800, alentour, (avec Pierre Getzler), Churchill 40 et autres sonnets de voyage, 2002-2003 mais aussi sur d’autres poésies : Les TroubadoursLa Fleur inverse, Partition rouge, poèmes et chants des Indiens d’Amérique du Nord… La poésie des troubadours et la  poésie médiévale japonaise lui procurent de nombreux exemples de construction poétique qu’il appliquera également à la prose. A l’OuLIpo, il retrouve une démarche similaire à la sienne et ajoute à sa collection de formes les contraintes. Il est d’ailleurs à l’origine de plusieurs contraintes : le « baobab », le « haïku oulipien généralisé », « l’Alexandrin greffé », la « joséphine »,  « Bubu l’urubu »… qui sont détaillées dans un lexique sur le site de l’OuLIPo.

Jacques Roubaud parle des contraintes dans un extrait de L’Atelier d’écriture de Jacques Roubaud / réalisé par Pascale Bouhénic, Production : Avidia Production, Centre Pompidou, 1995. A visionner à la Bpi.

La marche et la mémoire

Pour composer sa poésie, Jacques Roubaud marche. Il suffit d’une paire de chaussures de toile confortable, un vêtement de pluie, une casquette, un sac pratique. Un but est fixé, mais pas toujours. Une contrainte définie à l’avance a souvent son utilité. Le stylo ou le carnet de note sont bannis car la poésie est un art de mémoire.
Le poète arpente un lieu. Il se peut qu’il le connaisse bien pour l’avoir beaucoup fréquenté comme les rues de Paris, de Londres ou de New-York. C’est quelquefois la découverte totale, résultant du hasard ou d’un projet qui peut le mener jusqu’aux rives du Mississippi ou à Tokyo.
Le rythme des pas fait parfois naître des « images-mémoire » au fur et à mesure du parcours. Jacques Roubaud appelle cela le ruminement : « Le ruminement (rumination + cheminement) de la poésie en commencement, l’emmêlement de mots, syllabes, squelettes de vers et de phrases qui s’efforcent de s’accorder ».   Encore faut-il être prêt à reconnaître cette image-mémoire, d’où l’importance du regard poétique. Jacques Roubaud, dans Poésie, compare ce regard à celui du chasseur d’escargots qui « doit mettre une sorte de paire de lunettes intérieures spéciales, choisir un regard gastéropodique s’il ne veut pas rentrer bredouille. »
Une fois la matière première de la poésie identifiée, il s’agit de l’accueillir, délicatement, et de la travailler comme le ferait un artisan.  Ensuite, il faut la rapporter pour la déposer sur du papier.

Le collectif

Si la composition est souvent un exercice solitaire, Jacques Roubaud s’est beaucoup intéressé au travail et à la recherche de ses contemporains. Il s’est investi dans le collectif, d’abord dans le Groupe des Jeunes Poètes d’Elsa Triolet, qu’il a fini par quitter car la poésie y était trop intimement mêlée à la politique. Puis, dans le groupe Bourbaki rassemblant sous le nom d’un mathématicien imaginaire des mathématiciens francophones qui s’étaient fixé pour but la refonte de la théorie des mathématiques. Enfin, il s’engage dans l’OuLIPo, proche de l’esprit de Bourbaki par la rigueur de sa démarche. Il est toujours un membre actif de l’OuLIPo.

Il aime écrire à plusieurs mains. Il a, par exemple, beaucoup écrit avec Pierre Lusson ou d’autres oulipiens dans les revues de poésie et la Bibliothèque oulipienne. Il a publié Partition rouge et un cycle de théâtre en dix pièces sur la légende arthurienne, Graal théâtre, avec Florence DelayA l’origine, Graal théâtre devait concerner plus d’auteurs : un auteur différent par pièce, mais cela n’a pu être réalisé. 

Bibliographie

« Il y a là de quoi penser, apprendre et ne pas s’ennuyer.
Il y a de la réjouissance qui est au coeur de tous les arts. 
Aujourd’hui, lecteur, l’oeuvre de Jacques Roubaud est l’oeuvre qu’il faut lire »,
Jacques Jouet dans « Lire Jacques Roubaud », Les Nouvelles d’Archimède no 52, octobre 2009 (PDF).

Pour une bibliographie presque complète : le site de l’OuLIPo recense les publications sur la période 1967 à 2006.
Retrouvez les ouvrages de Jacques Roubaud à la Bpi, niveau 3, 840″19″ ROUB

 

Publié le 20/12/2012

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