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Appartient au dossier : Un·e auteur·rice, un objet

La Catrina de Chloé Delaume

Donnés, achetés ou trouvés, les objets sont chargés de souvenirs et d’émotions. L’écrivaine Chloé Delaume présente un objet qu’elle a choisi, en lien avec son livre Les Sorcières de la République, publié aux éditions du Seuil.

Une statuette Mexicaine représentant une tête de mort avec une cigarette
© Chloé Delaume

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« Une toute petite statuette en papier mâché peint et recouvert de paillettes, je l’ai ramenée du Mexique, là-bas on l’appelle La Catrina. C’est une des figures centrales de la fête des morts, un squelette féminin vêtu d’une longue robe, la coupe et les matières varient autant que les accessoires, mais sur le chapeau, toujours une plume. La Catrina hante toute l’année les étals des marchés à touristes, entre les masques de catcheurs, les Jésus en osier et les housses de coussins à l’effigie de Frida Kahlo. Ma Catrina à moi, je l’ai choisie avec soin, depuis elle est sur mon bureau.

La Catrina n’est pas un personnage légendaire, folklorique, ni la digne héritière d’une vieille déesse noyée dans le sang des Aztèques. Elle a été conçue autour de 1912, par la main d’un caricaturiste. Dénonciation des nouveaux riches, des castes liées au colonialisme, des trahisons de classes ; reniement de leurs origines, traditions et coutumes, mépris affiché envers leur propre culture. Le chapeau à plumes d’autruche, la mode européenne singée. Portée par un squelette, l’ironie fait le reste. La Catrina avait tout pour devenir une figure populaire, une version moderne, politique, du memento mori. D’ailleurs, sur mon bureau, elle fait son travail à merveille.

La fonction d’un memento mori, c’est de rappeler au premier coup d’œil « Souviens-toi que tu vas mourir ». En Europe, un crâne suffit, sous forme d’anamorphose ou de breloque et le tour est joué. Ma Catrina, elle, me ressemble, sait me parler. Je sais bien que je vais mourir, d’autant que j’ai longtemps essayé et que je fume énormément. Ma Vanité me ressemble, gothique kitsch au miroir, panoplie ridicule. Une fonction symbolique peut être plus efficace qu’un sort ou une potion : plonger mes yeux dans ses orbites anéantit toute frustration. « Souviens-toi d’où tu viens et vers quoi tu te diriges ». Ma Catrina, sur mon bureau, transforme l’orgueil des orphelines, je le crois, en volonté d’action. »

Article initialement paru dans De ligne en ligne n°22

Publié le 01/07/2019 - CC BY-NC-SA 4.0

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