Interview

La musique adoucit-elle les relations internationales ?
3 questions à Frédéric Ramel

Musique - Politique et société

Bpi [CC-BY-NC-2.0]

La musique est-elle un langage universel ou bien un instrument d’influence voire de réalpolitique ? Frédéric Ramel, professeur des universités en Science politique à l’IEP de Paris, rattaché au Centre de Recherches Internationales, révèle les accords, parfois majeurs, entre musique et diplomatie. 

1. Pourquoi s’intéresser à la place de la musique dans les relations internationales ?

Les relations internationales ont souvent été associées à l’image du soldat et du diplomate. Prendre en considération la musique dans les relations internationales permet de varier les approches. D’une part, cela permet de mieux prendre en compte des phénomènes culturels transnationaux plus ou moins autonomes par rapport à la diplomatie menée par les États. D’autre part, la dimension musicale permet d’introduire une analyse sensible et artistique qui dépasse la rationalité des acteurs.

2. Quels travaux ont été menés sur le sujet ?

Quatre disciplines se sont intéressées à cette dimension. La musicologie explore le rôle de la musique dans les processus de transformation des conflits armés récents. L’histoire renouvelle les approches classiques en soulignant l’épaisseur des relations culturelles transnationales. La sociologie étudie la circulation et la réception des œuvres à l’échelle globale tout en mettant en relief les transformations de l’écoute et celles qui affectent les industries musicales dans la mondialisation. Enfin, la science politique s’est engagée dans un tournant esthétique afin de décrire les relations internationales à partir d’autres angles parmi lesquels la musique.

3. On évoque souvent le soft power pour désigner la place de la culture dans la politique étrangère des États. Quelle est la part de la musique dans l’histoire et le développement du soft power ?

Lors de la Guerre froide, la musique fut une des ressources utilisées par les deux Grands en vue d’exercer une attraction culturelle. D’un côté, les États-Unis mirent en place leur programme des Ambassadeurs du Jazz. Dizzy Gillespie, Duke Ellington ou encore Louis Armstrong réalisèrent plusieurs tournées à l’étranger à partir de 1956. Ces concerts entendaient montrer non seulement la contribution de la musique d’origine afro-américaine à la culture américaine mais aussi l’image d’une société libérale qui reconnaît une égalité de droits. De l’autre, l’Union soviétique diffusa sa propre musique ainsi que ses ballets dans un esprit fidèle au réalisme. Aujourd’hui, le département d’État américain soutient la diffusion de certains genres musicaux comme le hip-hop au Moyen-Orient et au Maghreb (festivals, tournées). La Chine promeut son patrimoine musical et lyrique à l’instar de plusieurs opéras dont Rain of Flowers along the Silk Road (1979). Des figures du showbiz cherchent également à exercer sur la scène internationale une forme de soft power que l’on peut qualifier de diplomatie des célébrités : Bono, Beyoncé, Yo-Yo Ma… En vue de transformer les représentations de l’ennemi au Proche-Orient, Daniel Barenboim a créé avec son ami aujourd’hui décédé, Edward Saïd, un orchestre qui regroupe des jeunes Palestiniens, Israéliens ou Arabes.

Propos recueillis par Jérémie Desjardins, Bpi

Article paru initialement dans de ligne en ligne n°20

Publié le 10/06/2016 - CC BY-SA 3.0 FR

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