Sélection

Rutu Modan : un théâtre tragi-comique
Festival international de la bande dessinée d'Angoulême 2019

Rutu Modan met en scène depuis 1990 la société israélienne et brouille les pistes entre histoire et mémoire. Elle expérimente la bande dessinée avec une grande liberté et un humour corrosif. C’est en dehors des frontières de son pays qu’elle s’est fait connaître et que son travail a été primé. Alors qu’une rétrospective de ses œuvres est organisée à l’occasion du 46e Festival de la bande dessinée d’Angoulême, Balises vous propose de (re)découvrir son travail à travers une sélection de trois bandes dessinées.

Rutu Modan a été formée à l’École des beaux-arts de Bezalel à Jérusalem. Elle y découvre la bande dessinée dans un pays où cet art n’a jamais percé. Rutu Modan a donc le champ libre pour inventer la BD israélienne. Pour explorer le genre et l’imposer dans son pays, elle travaille au sein du collectif Actus Tragicus qu’elle a fondé avec Yirmi Pinkus, illustrateur et auteur de BD, et devient la cheffe de file de la première génération d’auteurs de bande dessinée israélienne. 

Au départ, elle utilise beaucoup la caricature, tordant les traits et déformant la réalité pour mettre en scène le grotesque des situations mais, réalisant que les situations sont souvent naturellement grotesques, elle épure son dessin et s’oriente vers une ligne claire personnalisée. Ce traitement graphique, associé à une narration efficace, permet d’aborder avec une certaine légèreté caustique des thèmes ou des souvenirs lourds comme la mort, les secrets familiaux, la Shoah, les attentats…

affiche de l'exposition Rutu Modan
Affiche de l’exposition Un théâtre tragi-comique

Publié le 30/01/2019 - CC BY-NC-SA 4.0

Sélection de références

Énergies bloquées

Rutu Modan
Actes Sud BD, 2005

Énergies bloquées est un recueil de six récits courts qui ont pour décors la société israélienne.
Rutu Modan y pointe les anomalies dans les familles, les non-dits comme les faux-semblants. Son propos est à la fois grinçant et loufoque. Avec habileté, l’autrice fait fi du politiquement correct, comme dans cette histoire intitulée « Bitch » dans laquelle un veuf embrasse le caniche d’une inconnue, car l’animal lui rappelle sa femme. Certaines ambiances tournent rapidement à l’horreur comme dans cette famille qui attend le retour de son fils disparu au Liban et dont l’avion de rapatriement est abattu par l’armée israélienne.
Ces situations traumatisantes font écho à des malaises sociétaux où les thèmes du rôle des femmes, de la famille disloquée et du terrorisme ne sont jamais loin.

Le dessin, tout en distorsion, donne une perspective surprenante. Rutu Modan expérimente un style graphique pour chacune des six histoires. Des détails sont poussés à l’extrême, comme dans le récit sur « L’Assassin culotté » où les motifs floraux et végétaux sur les robes des dames sont semblables à ceux des papiers peints. Un album qui ne laisse pas indifférent.

Exit Wounds

Rutu Modan
Actes Sud, 2007

Kobi est chauffeur de taxi à Tel Aviv. Un jour, une cliente, Nomi, lui apprend que son père est peut-être décédé dans un attentat, mais que l’état du corps retrouvé empêche son identification. Bien que fâché avec son père, Kobi se laisse entraîner par Nomi sur les traces paternelles. Cette quête le libère progressivement d’un passif relationnel douloureux et lui permet de vivre sa propre vie.

Exit Wounds conjugue enquête policière et récit intime sur un fond de chronique du quotidien à Tel Aviv, où les attentats sont monnaie courante. Le dessin, une ligne claire sobre, permet de présenter des scènes parfois difficiles, sans pour autant choquer. Au fil du récit, les personnalités se dessinent, des liens se tissent, des amorces de réponses surgissent, et l’autrice laisse la liberté au lecteur de se faire sa propre interprétation.

À la Bpi, niveau 1, RG MOD E

La Propriété

Rutu Modan
Actes Sud, 2013

Peu après la mort de son fils, Régina Segal, une vieille dame résidant en Israël, se rend à Varsovie pour récupérer une propriété familiale, spoliée pendant la Seconde Guerre mondiale. Sa petite-fille Mica tient à l’accompagner. Mais une fois sur place, Regina n’est plus la même. Elle change brusquement d’avis et veut avancer son retour. Mica, troublée par ce revirement, mène l’enquête pour comprendre l’attitude de sa grand-mère et espère, par la même occasion, comprendre l’histoire de sa famille.

Rutu Modan livre un roman graphique familial dense d’une grande subtilité. Le dessin, tout en ligne claire et très coloré, accompagne ce récit intime empreint d’une grande et belle nostalgie. La Propriété est un livre dans lequel la mémoire et le devoir de mémoire sont traités avec beaucoup de sensibilité et d’humour.

À la Bpi, niveau 1, RG MOD P

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