Nos coups de coeur de la rentrée littéraire à mettre sous le sapin

1/ Ma vie de cafard de Joyce Carol Oates

Violet Kerrigan se souvient de ses douze ans et du jour où sa vie a basculé. Née dans une famille nombreuse présentée comme un véritable clan où tous doivent être soudés et obéir au père, elle est la préférée. Quand Violet comprend que ses frères sont impliqués dans le meurtre d’un jeune Noir, elle est partagée entre loyauté à sa famille et désir de justice. Hantée par cet acte et émue par le sort de la famille endeuillée, elle dénonce ses frères. A partir de cet instant, elle est bannie par ses proches. Considérée comme un “cafard”, rongée par la culpabilité et souffrant d’être arrachée à sa famille, Violet s’accroche à son désir d’être pardonnée. Mais elle est aussi confrontée à la peur d’une possible vengeance de ses frères à leur sortie de prison. Oates explore les fractures profondes de l’Amérique à travers les répercussions du meurtre sur les personnages. Violet prend conscience de l’ampleur du racisme (les violences policières contre les Noirs, un professeur tyrannique qui prône l’eugénisme, les néonazis en prison, les théories des suprémacistes). Le roman se double d’un réquisitoire contre les violences faites aux femmes : Violet, fragilisée, devient la proie facile de pervers en tout genre et sa mère, elle, doit taire les humiliations subies. Outre la justesse des portraits et la finesse psychologique, on retrouve les thèmes chers à Oates pour dépeindre les travers de la société américaine : la cruauté de l’adolescence, la dissection des liens familiaux, le traumatisme et la difficile reconstruction. Les violences racistes et misogynes qui divisent le pays sont aussi le reflet des tensions exacerbées sous la présidence de Donald Trump. 
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2/ Nickel Boys de Colson Whitehead

Le nouveau roman de Colson Whitehead s’ouvre sur la découverte d’un charnier à Tallahassee, en Floride, en 2014. Aussitôt, le lien est fait avec une maison de correction, la Nickel Academy, où de nombreux jeunes ont été enfermés. Elwood Curtis est alors replongé dans son passé car il fut envoyé dans cette institution dans les années 60 après un procès injuste. Abandonné par ses parents, Elwood vécut en Floride dans un quartier noir avec sa grand-mère. Il connut la pauvreté et le racisme mais, idéaliste, galvanisé par les discours de Martin Luther King, il avait foi en l’avenir. Quand son professeur d’histoire s’engagea dans la lutte pour les droits civiques, Elwood l’imita et quand il l’encouragea à suivre des études, Elwood dut se rendre à l’université en stop. C’est alors que tout bascula : deux  hommes noirs dans une belle voiture étaient forcément suspects aux yeux de la police du Sud ségrégationniste. On découvre alors cette terrible maison de correction : châtiments corporels, viols, travail forcé… Les punitions sont particulièrement cruelles envers les Noirs, les renvoyant au temps de l’esclavage. Très documenté, Nickel Boys s’appuie sur de nombreuses enquêtes qui ont exposé les tortures et meurtres survenus de 1900 à 2011 dans une véritable école de Floride. Colson Whitehead apporte un éclairage bouleversant sur ce pan oublié de l’histoire américaine et on est révoltés face au destin tragique de ces hommes, aux témoignages des survivants, Noirs et Blancs unis face à ce traumatisme indélébile. On accompagne Elwood, son amitié avec Jack Turner, sa relation avec sa grand-mère, son amour de la lecture, sa dignité malgré les épreuves et on est émus jusqu’au retournement final. 
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3/ Apeirogon de Colum McCann

Dans son roman Apeirogon Colum McCann aborde le conflit israélo-palestinien au travers de l’histoire réelle de deux pères endeuillés par la mort de leur fille. Rami, graphiste israélien qui a combattu dans plusieurs guerres, perd sa fille dans un attentat-suicide à Jérusalem en 1997. Dix ans plus tard, Bassam, un Palestinien qui a passé 7 ans en prison pour terrorisme, perd sa fille tuée par un soldat israélien. Avant de détailler le déroulement de ces tragédies et leurs conséquences, le roman offre de multiples considérations philosophiques, politiques, religieuses, géographiques sur l’histoire de ce pays fracturé. Cet éclairage original sur le conflit en explore ainsi toutes les facettes, en écho au titre qui désigne une figure au nombre infini de côtés. Les digressions parfois déroutantes, comme les allusions aux oiseaux migrateurs et les dangers qui les guettent, prennent sens au fil du récit.
Rami et Bassam se retrouvent au sein d’une association pour la paix et décident de s’unir pour porter leurs témoignages. Le roman leur donne la parole, chacun racontant son parcours : Rami, fils d’un rescapé d’Auschwitz, est indifférent au sort des Palestiniens avant de réaliser l’injustice de l’occupation grâce à sa femme militante, fille d’une personnalité ayant œuvré pour la paix, qui dénonce la responsabilité du gouvernement israélien. Bassam revient sur son enfance dans les grottes, les humiliations et la prison où il fut torturé mais où il apprit l’hébreu et découvrit aussi l’horreur de la Shoah. Le roman alterne entre le passé et le présent des personnages, leurs tournées à travers le monde pour raconter, encore et encore, leur histoire, un récit en entraînant un autre, telles les mille et une nuits, et faire revivre le souvenir de leur fille. Roman ambitieux à la construction virtuose, à l’écriture poétique et fragmentée qui épouse les soubresauts de l’histoire complexe et douloureuse de ce pays et qui met en lumière, par un subtil jeu de correspondances et de répétitions les pensées des personnages confrontés au deuil mais aussi à la peur quotidienne face à la menace terroriste pour les Israéliens, la répression et les incessants contrôles pour les Palestiniens, dans un pays à la surveillance généralisée. Foisonnant, extrêmement documenté, il explore les histoires individuelles dans un contexte historique qui dépasse les frontières israélo-palestiniennes. Enrichi de références littéraires, musicales, artistiques, c’est un roman idéal pour mieux comprendre ce conflit car il en révèle des aspects peu connus et en apporte un éclairage inédit. Constat accablant d’un pays gangrené par la haine et par l’absurdité de situations kafkaïennes, c’est aussi un hommage à une indéfectible amitié qui offre l’espoir d’un avenir meilleur.
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4/ Saturne de Sarah Chiche

4 mai 2019. Une femme aux yeux bleu roi interpelle Sarah Chiche après une conférence. Elle a bien connu son oncle, son grand-père et sa grand-mère. Ses parents travaillaient dans leur clinique. Elle a bien connu son père aussi. Elle lui dit : « Vous avez son sourire ». Cette brève rencontre joue comme un détonateur. Sarah Chiche repense à cette promesse qu’elle s’était faite il y a bien des années déjà d’écrire un livre sur tous ces personnages qui ont hanté son enfance.
Sarah Chiche reconstitue alors les épisodes du roman familial. Elle élabore son récit de filiation. Sa famille a construit dans le temps un véritable empire médical à Alger. Puis, suite aux événements, elle a dû quitter l’Algérie mais a réussi à rebondir en ouvrant une nouvelle clinique en Normandie. Somptueuse réussite ! La clinique attire les meilleurs médecins ! L’argent coule à flot ! Mais le père de Sarah Chiche se détourne de cette réussite. Il refuse de devenir médecin, commence une relation avec une femme aux origines obscures et surtout meurt d’un cancer après avoir donné naissance à une fille. C’est cette fille qui deviendra l’autrice du roman que nous sommes en train de lire.
Sarah Chiche tente de reconstituer les événements et les causes qui l’ont menée à une terrible dépression de 2002 à 2005 au moment où elle hérite, à la place de son père mort, de sa grand-mère. On comprend que le roman familial qu’elle a restitué pas à pas avec le lecteur permet de débusquer les origines de la mélancolie. Elle donne ainsi une forme à ce qui est pourtant obscur, insaisissable, intangible. Sans doute une parfaite démonstration du pouvoir de l’écriture qui, d’après Sarah Chiche, se situe justement là où intervient la mélancolie.
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5/ Thésée, sa vie nouvelle de Camille de Toledo

Après le suicide de son frère, le premier réflexe de Thésée est de fuir. Quittant la France pour Berlin, il espère faire table rase, se délester d’un passé familial trop lourd à porter. Mais les quelques cartons d’archives qu’il a emportés s’imposent à lui avec une force renouvelée. Explorant les lettres, les journaux et les photographies, Thésée va tenter de faire parler les morts, et de comprendre, depuis le drame fondateur du suicide d’un ancêtre, la nature du fardeau passé dans sa famille de génération en génération. 
Comme le héros grec défiant le destin, l’alter ego de Camille de Toledo dans cette nouvelle variation autobiographique cherche à conjurer le sort. Mais les forces auxquelles il fait face sont celles qui ont déchiré l’Europe tout au long du XXe siècle. Mettant en oeuvre une véritable poétique de l’archive, d’où émergent les regards et les pensées de tous ces ancêtres aux existences heurtées, Camille de Toledo compose un grand roman de la réparation, une enquête familiale à la tonalité lyrique, funéraire, comme une vaste oraison pour tous les morts des grands traumatismes du siècle passé.
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6/ Le banquet annuel de la confrérie des fossoyeurs de Mathias Énard

Lorsqu’il s’installe à La Pierre Saint-Christophe pour y écrire sa thèse d’anthropologie, David ne peut que se réjouir de l’accueil qui lui est fait. Lui qui s’intéresse aux modes de vie ruraux dans les Deux-Sèvres et aux survivances du patois poitevin collecte rapidement de nombreuses informations utiles. Mathilde et Gary, les agriculteurs qui l’hébergent, Arnaud, un grand dadais fin connaisseur de l’Histoire, ou encore Martial, le maire du village – et son fossoyeur – ont tous une foule d’anecdotes à lui raconter. 
Au point que, bientôt, son journal de thèse déborde. Comme jaillissant des pages scolaires écrites par le jeune chercheur, les généalogies intriquées et les rancoeurs inter-générationnelles prennent vie sous la plume de Mathias Enard qui, parcourant les époques et multipliant les points de vue, compose un grand roman à la truculence éruptive. Là où Boussole, prix Goncourt 2015, était un voyage immobile, Le banquet annuel se lit ainsi comme une chute acrobatique dans les strates du passé, qui mêle roman social et récits folkloriques dans un grand déchaînement aux accents rabelaisiens – et culmine dans ce grand banquet païen de la confrérie des fossoyeurs, où toutes les destinées passées et présentes convergent sous l’égide d’Eros et Thanatos.
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7/ Le coeur synthétique de Chloé Delaume

Tout juste divorcée, Adélaïde n’a qu’une idée en tête : trouver à nouveau chaussure à son pied, et vite. Car à quarante-six ans, cette dynamique attachée de presse dans une maison d’édition parisienne réalise qu’elle n’a plus autant d’atouts que dans sa jeunesse, et que les rares hommes encore célibataires cachent tous des tares rebutantes. Tentant maladroitement de concilier sa frénésie matrimoniale avec ses convictions féministes, Adélaïde court d’échec en échec, et ne trouve de remède à son angoisse de la solitude qu’auprès de quelques amies.
Combinant un portrait acide du monde de l’édition à celui d’une génération de  femmes tiraillées entre des injonctions multiples et contradictoires, Le cœur synthétique allie la légèreté comique d’un épisode de Sex and the city à la rage critique d’un essai de Virginie Despentes. Chloé Delaume y met le doigt sur les réflexes à la fois sexistes et âgistes de nos sociétés, et redonne une place à ces quadragénaires mises de côté par les logiques de marché – professionnel et amoureux -, pour leur offrir une autre issue, loin des schémas habituels : celle d’une sororité rebelle et joyeuse.
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8/ Chavirer de Lola Lafon

A treize ans, Cléo ne rêve que d’une chose : être repérée par un professionnel et entrer dans une grande école de danse parisienne. Alors, quand une femme à l’élégance envoûtante se présente à la fin de son cours de modern jazz et lui propose de candidater pour une bourse de la Fondation Galatée, Cléo ne se doute pas une seconde du piège qui lui est tendu. Derrière les promesses de la Fondation, la jeune fille découvre un monde de prédation, auquel elle va finir par collaborer bien malgré elle.
Suivant le parcours de Cléo sur plusieurs décennies, Chavirer explore finement les recoins de la conscience de cette jeune femme, victime devenue complice, écrasée autant par la honte que la culpabilité et réfugiée derrière une façade de paillettes.  A travers elle et une galerie de personnages secondaires, Lola Lafon examine le monde de la danse sous un large spectre, des plateaux de variété des années 90 à l’univers des grands cabarets parisiens, pour en saisir toutes les lignes de fracture, tous les déséquilibres et les rapports de domination.

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9/ L’anomalie d’Hervé Le Tellier

Le 10 mars 2021, le Paris-New-York échappe de peu à la catastrophe. Grâce au commandant Markle, l’avion parvient à traverser une tempête historique au-dessus de l’Atlantique. Mais ses 243 passagers n’en sont pas quittes pour autant. Trois mois plus tard, un événement inouï remettant en cause toutes les lois de la physique se produit et un véritable duplicata de l’avion apparaît dans le ciel américain. Chacun d’entre eux va alors devoir se préparer à rencontrer son double…
L’anomalie met en scène une douzaine de personnages confrontés à cet événement impensable. Qu’ils soient écrivain, avocate, tueur à gages ou comédienne, ils vont composer avec cet autre soi-même qui, inévitablement, les confronte aux possibles auxquels il leur a fallu renoncer. Se jouant du paradoxe temporel et des chausse-trappes logiques avec la dextérité d’un scénariste hollywoodien, Hervé Le Tellier multiplie les clins d’oeil au cinéma et au roman noir. De ce mélange des genres naît un roman quantique jubilatoire, qui s’avère être un véritable page-turner en même temps qu’une méditation troublante sur l’individu et notre perception de la réalité et de nous-mêmes.
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10/ Un promeneur solitaire dans la foule d’Antonio Muñoz Molina

À travers de longues déambulations dans les rues de Madrid, Paris ou encore New-York, Antonio Muñoz Molina invoque les esprits des grands écrivains adeptes de la promenade et les restitue dans une immense flânerie littéraire virtuelle. Ce récit parsemé d’images et composé de fragments dictés par des titres de presse ou des slogans publicitaires, sortes d’aphorismes contemporains illustrant des scènes urbaines atemporelles, prend la forme d’un gigantesque collage qui peut tout aussi bien se lire dans le désordre, à la manière de ce merveilleux hasard qui guide toute promenade.  Les pensées de flâneurs célèbres comme Thomas de Quincey, Charles Baudelaire, Walter Benjamin ou encore Fernando Pessoa s’insèrent dans une fresque moderne, où les arts et le lyrisme le plus profond côtoient la précarité, les détritus, le terrorisme et les actes les plus sordides. L’écriture restitue avec fracas un monde urbain fait d’injonctions, dans lequel l’obsession de l’actualité et l’absurdité de la publicité à outrance sont si bien dépeintes qu’elles coupent le souffle et révèlent l’angoisse qui accable souvent l’auteur. Mais de toutes ces pensées prises sur le vif surgit également la beauté, celle qui sublime l’évanescence de l’instant, qui dévoile la légèreté de l’amour et qui incarne les trésors d’un passé toujours présent. La cohabitation de la beauté et de la laideur, allégorie de la ville moderne, est très justement incarnée dans ce roman et s’impose définitivement comme un matériau littéraire inépuisable et profondément vivant.
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