Pas de démocraties sans énergies fossiles ?
Notre sélection de ressources

La démocratie à l’occidentale est-elle viable sans les énergies fossiles ? Nos modes de gouvernance et de vie sont-ils menacés par la montée en puissance géopolitique des pays producteurs d’hydrocarbures et de l’alliance des BRICS+ ? Les revendications sociales visant à toujours plus d’égalité sont-elles possibles dès lors que le charbon, le pétrole et le gaz, jusqu’ici abondants et bon marché, se raréfient ?

Les démocraties libérales sont souvent pensées en termes d’idéaux émancipateurs (Droits de l’Homme et du Citoyen, liberté-égalité-fraternité…), de marché – plus ou moins régulé par l’Etat, et de redistribution de la richesse. Elles le sont plus rarement en termes d’existence matérielle et technique. Or, à l’heure où le dérèglement climatique planétaire s’intensifie et que l’accès aux ressources naturelles se contracte, de nombreux chercheurs réinterrogent les fondements de nos régimes politiques. Lorsqu’elles sont converties en énergie par combustion ou transformation, plus encore que des objets manufacturés, les matières fossiles produisent du pouvoir politique et des modes de vie. Elles alimentent les machines, lesquelles permettent de transformer le monde à échelle industrielle. Cette transformation permet à son tour de libérer l’Homme de certaines tâches ou certains déterminismes, de conquérir de vastes régions du monde et de générer des bénéfices colossaux. De nouvelles aspirations de vie collective et individuelle émergent alors : figures du citoyen et du consommateur, État Providence, tertiarisation de l’économie…

Dans son ouvrage Carbon democracy : le pouvoir politique à l’ère du pétrole, l’historien politiste Timothy Mitchell note que les démocraties et l’essor du charbon apparaissent simultanément, ce dernier alimentant chaque étape de leur construction. Ces démocraties de carbone fondent leurs nouvelles formes d’administration de la vie collective sur le principe de Progrès. Elles sont conçues selon les logiques de la science alors émergente qu’est l’économie : tout l’enjeu est de gérer ce qui relève du débat public et qui y a accès, sans penser qu’il est nécessaire de gérer aussi la ressource géologique, d’en faire un sujet public.

Au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, comme le souligne le philosophe Pierre Charbonnier dans Vers l’écologie de guerre : une histoire environnementale de la paix, les grandes démocraties accélèrent cette course à la croissance illimitée au nom de la paix, grâce à une autre énergie que l’on croit plus infinie encore : le pétrole, venant principalement du Moyen-Orient. Le gaz s’y ajoute peu de temps après. Apparaît cette idée contre-intuitive : les temps de paix seraient davantage néfastes à l’environnement que les temps de guerre, car ils permettent un accès plus facile et économique à l’énergie fossile.

Dans la bande dessinée Le monde sans fin, l’ingénieur Jean-Marc Jancovici dit au dessinateur Christophe Blain : « Toute énergie devient sale si tu l’utilises à grande échelle. N’importe laquelle (…). Choisir une énergie, c’est arbitrer entre les inconvénients que tu acceptes et ceux dont tu n’as pas envie. » Aussi, par-delà certains discours politiques ou militants, cette sélection de documents issus des collections de la Bpi propose des outils de réflexion sur les liens complexes entre les régimes démocratiques libéraux et les ressources fossiles.

Cette perspective historique entend également pointer quelques-uns des enjeux démocratiques d’aujourd’hui et de demain : comment préserver la paix et répondre aux exigences de participation politique de masse tout en devant faire avec (beaucoup) moins de ressources ? Jusqu’à quel point ces tendances lourdes vont-elles redéfinir, voire restreindre certaines missions de l’Etat ? Jusqu’à quel point les demandes de participation politique vont-elles s’inspirer des communs observables dans de nombreuses sociétés dites traditionnelles et/ ou rurales ?

Retrouvez notre sélection de ressources jusqu’au 6 janvier 2025 au niveau 2 de la Bpi, en Philosophie, ou bien retrouvez notre bibliographie en ligne !