Marc Ferro (1924-2021)
Un historien de son temps

Marc Ferro, figure emblématique de l’écriture de l’Histoire contemporaine, vient de s’éteindre.
Intellectuel engagé, son travail éclectique, ses axes de réflexion originaux, ses travaux érudits ou pédagogues, ses interventions variées et souvent jubilatoires font de lui un historien majeur, un de ceux qui ont révolutionné la discipline, dans la continuité de l’école des Annales (dont il anima un temps la revue) et de son mentor Fernand Braudel.

Son travail, riche d’un nombre considérable de champs de recherche, est d’une variété inédite.
Ses premiers travaux, restés célèbres, portèrent sur la société soviétique et la révolution russe de 1917. En y consacrant sa thèse, Marc Ferro démontre que celle-ci ne fut pas le fruit d’un unique coup d’état dirigé par Lénine, mais bien le résultat d’un mouvement social de fond, porté par le peuple russe, et notamment par les femmes, les soldats, les paysans, et pas seulement par les ouvriers. Son travail bouscule le monde universitaire et met à mal l’image d’Epinal jusque-là admise. Son utilisation inédite des archives télévisuelles et cinématographiques, communément dédaignées par des historiens encore très attachés aux sources écrites, révolutionne l’écriture de l’histoire contemporaine.

Suite à la publication de ses travaux, Marc Ferro sera interdit de séjour en URSS pendant une dizaine d’années.
Après les études soviétiques, il interroge les tourments de la période contemporaine : tout à tour historien de la Grande Guerre, biographe inattendu du maréchal Pétain, penseur du fait colonial, du communisme, ou de la construction des mythologies nationales à travers les manuels scolaires (autre source originale qui bouleversa une nouvelle fois les méthodes de recherches historiques), Marc Ferro fut un universitaire original et un chercheur infatigable.
Il interrogea l’écriture de sa discipline à travers des concepts modernes (comme la psychologie) et initia un
vaste mouvement d’échanges et d’ouverture entre les sciences sociales.
Enfin, théoricien du rapport entre Cinéma et Histoire, il est celui qui a fait entrer les films, documentaires ou fictionnels, dans la méthodologie de la recherche historique. Pour lui, les images permettaient de percevoir des zones non visibles et de proposer une « contre-histoire », à rebours des dogmes, des idéologies et des stéréotypes.

Attaché à la vulgarisation et à la diffusion de la discipline historique auprès du grand public, Marc Ferro anima une émission de télévision restée célèbre, Histoire parallèle, sur la Sept puis sur Arte, où il donnait à voir de manière jubilatoire une Histoire à plusieurs voix en juxtaposant sans commentaires ni coupes des bande d’actualités diffusées par des camps rivaux.

Sa vie, tourmentée et riche de rencontres et de voyages, est à l’image du 20ème siècle dont il conta inlassablement les complexités : orphelin (il perd très jeune son père et sa mère, d’origine juive, ne reviendra pas des camps), il rejoint en 1944 le maquis du Vercors et entre dans la Résistance. Après la guerre, il commence à enseigner et part en Algérie. C’est au lycée Lamoricière à Oran qu’il prend conscience du fait colonial : il s’engage politiquement au sein du mouvement « Fraternité algérienne », mais la recrudescence des violences le convainc de rentrer à Paris. Jeune professeur, il s’engage dans une thèse sur la révolution russe, avec le succès que l’on sait. Il intègre le CNRS et la prestigieuse publication des « Cahiers du monde russe et soviétique ». Fernand Braudel le repère et encourage sa carrière. Sous son impulsion, Marc Ferro devient secrétaire de rédaction des « Annales ». Devenu historien de renommée internationale, il ne compte plus les postes de prestige et les publications remarquables.

Décédé en avril dernier à l’âge de 96 ans, la Bpi souhaite rendre hommage à son travail à travers cette sélection de ressources consultables près du bureau histoire et une bibliographie complète de ses ouvrages.

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